Par Philippe Blacher, professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Quelle est l’origine de la commission mixte paritaire ? 

La commission mixte paritaire (CMP), mentionnée par le deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution, désigne l’instance réunissant, à la demande du Premier ministre et pour un projet de loi, sept députés et sept sénateurs à huis clos, afin de rechercher un texte de compromis entre les deux assemblées. Inscrit pour la première fois dans une constitution française en 1958, ce type d’organe parlementaire de médiation est en vigueur dans certains régimes étrangers (par exemple en Allemagne, la commission de médiation est composée de 16 membres du Bundestag et de 16 membres du Bundesrat). Contrairement à la procédure parlementaire de droit commun, seuls quelques parlementaires tentent de trouver un compromis sur le texte d’un projet de loi. L’exécutif ne participe pas aux travaux de la CMP. Mais les parlementaires qui le soutiennent servent de relais, en défendant la position gouvernementale.

A l’issue de ses discussions, le Gouvernement a le choix. S’il y a accord en CMP, il peut soit présenter le texte aux deux assemblées, sans possibilité pour ces dernières de l’amender (sauf si le Gouvernement y consent) ou bien, si la version ne lui convient pas, décider de reprendre la procédure classique (en engageant une nouvelle navette). En cas de désaccord, il peut demander, après une nouvelle lecture par les deux chambres, à l’Assemblée nationale de « statuer définitivement » (art.45, alinéa 4) ou bien il peut abandonner sa réforme. Depuis 1958, le recours à la procédure paritaire est très fréquent. Il concerne environ 30% des textes en discussion. Durant l’année 2021-2022, 42 réunions de la CMP se sont tenues pour 29 accords trouvés. 

En quoi cette CMP présente-t-elle une originalité par rapport aux CMP plus classiques ?

Habituellement, la CMP a pour objectif de rechercher une conciliation lorsque les positions des deux assemblées parlementaires sont divergentes, après deux lectures successives du texte. Or dans le cas présent, la Première ministre a provoqué la CMP (elle peut le faire après une seule lecture, puisque le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi) suite à la motion de renvoi préalable, qui a eu pour effet d’empêcher la discussion en séance publique. Seule une lecture en commission permanente a pu être réalisée à l’Assemblée nationale, ce qui ne permet pas précisément de connaître l’ensemble des positions susceptibles d’être tenues au Palais Bourbon sur la réforme. 

De plus, le président de la République aurait décidé d’abandonner la réforme législative en cas d’échec de la CMP (source : Bulletin Quotidien du 14/12/2023, p.5). Mais en cas de succès, le texte sera soumis aux votes du Sénat puis de l’Assemblée nationale, sans 49.3. Dans ces conditions, les membres de la CMP détiennent les clefs pour sortir le Gouvernement de l’impasse. Et l’on mesure l’intensité des tractations qui se négocient en amont de la réunion…

Comment les sept députés et sept sénateurs sont-ils désignés ? 

L’article 45 de la Constitution ne mentionne que la dimension « paritaire » de la commission. Au-delà de ce principe, qui impose un nombre égal de députés et de sénateurs, les deux assemblées parlementaires appliquent, avec une certaine tolérance, les règles constitutives suivantes. Sur chaque texte, il est d’usage que le président de la CMP soit le président de la commission saisie au fond au sein de l’assemblée où va siéger la CMP (en l’espèce, l’Assemblée nationale). Dans le cas du projet de loi « immigration », le député Sacha Houlié, président de la commission des lois, assurera cette fonction. Son homologue du Sénat,François Noël Buffe,) assurera la vice-présidence. Viennent s’ajouter les rapporteurs en commission permanente, en charge du suivi du dossier législatif : sur ce texte, deux co-rapporteurs au Sénat et un rapporteur à l’Assemblée nationale. 

La clé de la répartition des membres résulte, ensuite, d’accords entre les présidences du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg. Il est d’usage, depuis 2009, que quatre parlementaires appartiennent à la majorité et que trois soient issus de groupes d’opposition (en précisant que la notion de « majorité » et d’« opposition » s’entend comme un positionnement propre à chaque assemblée). A l’Assemblée nationale, le nombre de groupes (dix, dont sept qui se déclarent d’opposition) ne permet pas à tous de pouvoir envoyer un élu en CMP. Compte tenu des effectifs, les présidents des trois principaux groupes dans l’opposition (à savoir La France Insoumise, Les Républicains et le Rassemblement national) vont désigner un élu pour siéger. Au Sénat, sur les mêmes bases (4 élus du groupe majoritaire et 3 élus des groupes d’opposition), il appartient à la commission saisie de nommer les membres qui siègeront, en particulier les trois membres de l’opposition (issus du groupe socialiste et du groupe Renaissance).

Suivant cette grille de répartition, la configuration politique de la CMP apparaît très éclatée, avec cinq élus de la droite républicaine (trois sénateurs et un député LR + un sénateur centriste allié), cinq élus « majorité présidentielle » (quatre députés + un sénateur Renaissance), deux sénateurs socialistes, un député de La France Insoumise et un député du Rassemblement national. A ces membres titulaires s’ajoutent quatorze suppléants. Ces derniers, cependant, ne votent pas mais ils siègent, participent aux discussions et exercent, par conséquent, une influence sur l’issu des travaux d’une CMP.