Par Estelle Fohrer-Dedeurwaerder, Maître de conférences HDR, Université Toulouse Capitole et Ekaterina Vladykina, Doctorante en droit international et comparé, Université Toulouse Capitole

Comment est élu le Président de la Fédération de Russie ?

Selon l’article 81 révisé de la Constitution, le Président est élu par les citoyens de la Fédération « sur la base du suffrage universel, égal et direct, au scrutin secret ». Il s’agit donc d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours où le candidat doit recueillir plus de 50 % des suffrages exprimés pour être élu au 1e tour. Le 2nd tour est remporté par celui qui recueille le plus de voix.

Les aspirants doivent enregistrer leur candidature auprès de la Commission électorale centrale de la Fédération (CEC, composée de 15 membres, nommés proportionnellement par le Président de la Fédération et par chacune des deux assemblées parlementaires : la Douma et le Conseil de la Fédération) entre 80 et 45 jours avant le 1e tour, après avoir collecté des signatures. Ils ne sont cependant pas soumis aux mêmes exigences selon qu’ils bénéficient ou non de l’appui d’un parti politique. Ceux qui sont soutenus doivent recueillir au moins 100.000 signatures (sauf si le parti est présent à la Douma et/ou dans les organes législatifs d’au moins un tiers des sujets, comme Nouvelles Personnes ou le Parti communiste). Les candidats indépendants, eux, doivent récolter 300.000 signatures (7500 maximum par sujet).

Comment sont organisées les élections présidentielles de 2024 ?

Les élections se déroulent du 15 au 17 mars 2024 et un 2e tour sera organisé si aucun candidat n’emporte plus de la moitié des voix (3 semaines après le 1e tour). La personne élue sera investie le 7 mai 2024, soit deux jours avant la commémoration de la victoire soviétique face à l’Allemagne nazie (marquée par un grand défilé militaire sur la place Rouge à Moscou).

Le vote électronique est permis pour la première fois pour 38 millions de Russes, à condition de résider de manière permanente dans un des 29 sujets désignés sur les 89 composant de la Fédération. Les Russes de l’étranger ne peuvent, quant à eux, voter qu’en se rendant dans leur Ambassade ou Consulat.

Qui sont les opposants de Poutine et quelles sont leurs chances ?

Plusieurs candidatures ont été écartées par la CEC en raison d’« erreurs » dans les dossiers, en particulier celle de Boris Nadejdine (Parti Initiative Civique) et celle d’Ekaterina Dountsova. Nadejdine était proche de Nemtsov (grand opposant de Poutine, assassiné en 2015) et a régulièrement critiqué les décisions de l’actuel Président. Il a signé une tribune contre les amendements à la Constitution proposés par Poutine en 2020, et dénoncé la guerre en Ukraine à la télévision russe. Ancien député à la Douma, il est conseiller de la ville de Moscou. Dountsova est journaliste et n’a exercé qu’un mandat local (ville de Rjev). Sans soutien d’un parti politique, elle s’est déclarée en novembre 2023, en proposant des réformes démocratiques, la libération des prisonniers politiques, la défense des minorités et l’arrêt immédiat de la guerre.

L’un et l’autre ont vainement exercé des recours devant la Cour Suprême contre le rejet de leur candidature. Dountsova a même tenté de s’unir à Yabloko (un des plus anciens partis démocratiques), mais son président a estimé qu’il « ne connaissait pas sa renommée en politique ».

Aujourd’hui, il ne reste plus que 3 autres candidats en lice : Léonid Sloutski (chef du parti Libéral-Démocratique depuis la mort du fondateur de ce parti ultranationaliste, Jirinovski qui voulait rétablir la grandeur de la Russie), Nikolaï Kharitonov (membre du parti Communiste) et Vladislav Davankov (membre du parti Nouvelles Personnes), tous députés de la Douma de la Fédération (Davankov en est même le vice-président). Mais, aucun ne fait trembler l’actuel Président (dans les sondages, aucun ne dépasse les 6% d’intentions de vote), d’autant que Sloutski et Kharitonov ne peuvent être présentés comme de véritables rivaux. Souvent qualifiés de « faire-valoir » car ils soutiennent la politique du Kremlin, ils sont tous deux visés par les sanctions occidentales du fait de l’invasion de la Crimée et de la guerre en Ukraine.

Quant au candidat progressiste, Davankov, il pourrait inquiéter Poutine s’il parvenait à mobiliser l’électorat de Nadjedine grâce à son programme prônant l’ouverture de pourparlers pour mettre fin à la guerre, l’augmentation des dépenses publiques pour l’éducation et la santé, ainsi que des réformes judiciaires, pénales et en faveur de la liberté de la presse. Mais sa grande difficulté tient en partie au fait que les électeurs le connaissent peu ou pas et ne le considèrent pas comme une alternative crédible, faute de propositions claires (à la différence de Nadjedine qui avait convaincu une partie des citoyens russes).

Finalement, on peut dire que si les élections auront l’apparence de se dérouler dans le respect de la démocratie, c’est sans compter sur les fraudes et moyens de pression qui ont été exercés tout au long du processus électoral, spécialement en amont du scrutin, lors de l’examen des candidatures par la CEC : pourquoi les dossiers des candidats les plus dangereux sont-ils systématiquement évincés, comme celui d’Alexeï Navalny en 2018, pour de prétendues « erreurs » ? La présidente de la CEC a beau jeu de dire aux candidats malheureux qu’ils ont l’avenir devant eux, la mort brutale de Navalny tend aujourd’hui à la contredire.