Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit public à l’Université de Brest

Quelles sont les caractéristiques de cette révision ?

Elles sont au moins de trois ordres. D’abord le fait qu’elle intervienne après seize années sans modification, ce qui constituait la plus longue période de la Ve République sans évolution de la Loi fondamentale. Pendant les deux premières décennies (années 60 et 70), il y avait eu cinq révisions, puis le rythme s’est accéléré dans la décennie 90 avec six révisions, puis dix entre 2000 et 2008. Puis les tentatives de François Hollande (2013 et 2016) et d’Emmanuel Macron (2018 et 2019) n’avaient pu déboucher. Que le Parlement adopte ce texte est donc un signe rassurant car une constitution irréformable est une constitution malade.

Ensuite qu’elle n’ait pas été préparée par une commission d’experts, ce qui était pourtant devenue une pratique banalisée au point d’être quasiment généralisée. Ce fut par exemple le cas du comité Vedel qui amorçait plusieurs révisions à partir de 1995, de la commission Coppens préalable à la révision de 2005 sur la Charte de l’environnement, de la commission Avril en 2007 sur le statut pénal du chef de l’Etat et bien entendu du comité Balladur en 2008. Dans le cas d’espèce, la révision découle d’une volonté exprimée par différents groupes parlementaires dès 2017. Le premier fut le groupe communiste du Sénat dès le 3 mai 2017 suivi en 2022 des groupes socialiste (12 janvier) et écologiste (3 septembre). Au Palais Bourbon, deux propositions de loi furent déposées par des députés de la NUPES (7 octobre 2022) puis du groupe Renaissance (13 octobre 2022). 

Enfin, comme la quasi-totalité des révisions précédentes, elle se conclue par un vote du Congrès alors que le principe figurant dans l’article 89 est celui du référendum. Seule la révision sur le quinquennat en 2000 fut organisée dans les formes prévues, avec une spécificité pour celle de 1962 dont la voie empruntée fut considérée par la communauté juridique comme inappropriée. Relevons quand même le paradoxe : alors que tous les groupes parlementaires rivalisent d’imagination pour « refonder notre système démocratique » aucun n’a réclamé l’organisation d’un référendum sur ce sujet.

Peut-on déduire de ce succès une méthode vertueuse pour réviser ?

Dans le langage météorologique, une éclaircie n’est qu’une trouée dans un ciel couvert. Il faut donc se garder de déduire de cette réussite des certitudes. Reste que le cheminement suivi est jalonné d’étapes qu’il serait prudent de ne plus oublier.

Primo, la précision plutôt que la dispersion. Le sujet était unique et son périmètre incontestable. Cette identification favorisait la polarisation des échanges et limitait de fait les tentations d’amendements aussi divers que variés. En effet, contrairement à la procédure législative habituelle, en matière constitutionnelle, les parlementaires ne sont pas restreints : pas d’irrecevabilité financière, pas de de cavalier, pas d’entonnoir… Engager une révision en multipliant les sujets c’est donc inviter au déferlement de propositions de modification. Tel ne fut pas le cas, et de fait, les débats restèrent concentrés sur l’IVG.

Secundo, négocier plutôt que brutaliser. Depuis son élection en 2017, la lecture de la Ve République par le chef de l’Etat s’articule autour d’un besoin présidentiel de captation des pouvoirs. Comme si le régime n’était qu’une sorte de monocratie dans laquelle le Parlement doit se contenter d’exercer un rôle mineur. La recomposition de l’Assemblée nationale l’an passé n’a pas modifié cette approche et sur les grands dossiers, hormis les mots sucrés qui n’y changent rien, le seul prisme des gouvernements fut celui de la restriction des prérogatives parlementaires. La méthode a visiblement évolué puisque des tractations ont été conduites avec le Sénat bien sûr mais en son sein avec tous les groupes. Le résultat se constate dans l’approbation massive du Palais du Luxembourg d’un texte auquel Gérard Larcher avait dit sa réserve.

Tertio, l’émancipation plutôt que la régression. Elargir les droits semble plus fécond que de chercher à les réduire. Protéger les libertés fondamentales permet à l’évidence de rassembler. Les avancées sociétales, pourtant souvent décriées par des groupes d’intérêts bruyants, correspondent à des attentes des citoyens. Ce fut vrai avec le mariage pour tous. Cela s’observe dans les débats sur la fin de vie. Cela s’est constaté dans les changements des votes de bien des sénateurs sensibles aux échanges dans leurs territoires.

Trois autres projets de révision sont annoncés que faut-il en penser ?

En effet, le gouvernement souhaite modifier le corps électoral calédonien. Mardi dernier, le Sénat a d’ailleurs adopté un projet de report des élections provinciales au 15 décembre 2024 au plus tard, ce qui est présenté par le ministre de l’Intérieur comme un préalable à la révision constitutionnelle. L’Assemblée doit en débattre le 18 mars. A ce stade, les indépendantistes du FLNKS y sont hostiles, et en métropole la gauche reste à convaincre. Mais le gouvernement ne parait pas s’en soucier, ce qui n’est guère rassurant.

Le chef de l’Etat, à nouveau par la voix de Gérald Darmanin a aussi entrepris de supprimer avant l’été le droit du sol à Mayotte afin qu’« il ne soit plus possible de devenir français si l’on n’est pas soi-même enfant de parents français ». Le texte n’est pas encore connu mais il suscite déjà des interrogations car comme l’a indiqué le président du conseil constitutionnel, le 14 février dernier, cela pose « la question de l’indivisibilité » de la République.

Enfin, en Corse, les discussions entre les représentants de la collectivité territoriale et le gouvernement en vue d’une autonomie de l’île cheminent vers un « consensus » selon les comptes-rendus de presse. Là encore, comme les textes ne sont pas écrits, difficile d’en mesurer le degré d’acceptabilité par le Parlement.