Par Pierre Michel, Maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2

Pourquoi le Bundestag a-t-il adopté une nouvelle loi sur le genre à l’état civil ?

Dès 1980, le droit allemand avait adopté une loi dite « TSG » sur les personnes trans reconnaissant la possibilité de modifier le prénom et le genre à l’état civil, sous réserve de conditions particulièrement strictes. Outre la démonstration de la réalité de la transidentité et le fait de ne pas être marié, la demande devait surtout apporter la preuve médicale de la perte définitive de ses capacités procréatives. Pour précurseur qu’il fût en son temps, ce texte a montré ses limites à partir des années 2010. En effet, plusieurs dispositions de la loi TSG ont été déclarées contraires aux exigences constitutionnelles par la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe. Plus de quarante ans après son adoption, la loi de 1980 a connu tellement de déconvenues constitutionnelles qu’elle était devenue un véritable château de cartes prêt à s’effondrer.

En outre, aucune disposition de la loi TSG n’envisageait la situation des personnes intersexes, à savoir celles dont les caractéristiques sexuées de naissance ne se conforment pas aux normes traditionnelles de la binarité des sexes. Le Bundestag réagira en 2013 avec une nouvelle loi qui disposait qu’en cas d’indétermination du genre de l’enfant, aucune mention n’est inscrite dans l’acte de naissance. Là encore, la loi fut censurée par le juge constitutionnel dans une décision de 2017 aux motifs que l’absence de reconnaissance positive du genre des personnes intersexes constituait une atteinte à la vie privée. En réponse, le législateur adopta, en 2018, une nouvelle loi consacrant un troisième genre à l’état civil avec la mention « divers ».

Quelles sont les nouvelles conditions de la modification du genre à l’état civil ?

Composé de treize articles, la loi SBGG marque déjà par sa méthode : elle a pensé conjointement la question de la transidentité, de l’intersexuation et de la non-binarité afin de renforcer le droit à l’autodétermination personnelle. À cet effet, la loi acte la déjudiciarisation de la procédure de modification du genre qui devient déclarative.

Désormais, toute personne majeure dont l’identité de genre diffère de la mention sur son acte de naissance peut déclarer auprès des services de l’état civil sa volonté de modifier ou de retirer sa mention de genre. À cet égard, la loi nouvelle conserve le système des quatre options de la loi de 2018, à savoir les trois mentions « féminin », « masculin » et « divers » auxquelles s’ajoute la possibilité de ne pas indiquer de genre.

Toute déclaration devra en outre être accompagnée d’un document attestant que la mention souhaitée reflète au mieux l’identité de genre de la personne et qu’elle a conscience des implications juridiques de cette modification. Une fois la déclaration déposée, la personne doit observer un délai de réflexion de trois mois avant de pouvoir confirmer son choix ; l’objectif étant d’éviter les décisions hâtives. Pour les mêmes raisons, un délai de blocage d’un an s’applique après l’obtention du changement de genre. Aucune nouvelle déclaration ne peut être déposée pendant cette période. La loi nouvelle ne précise pas de limites quant au nombre de modifications possibles de la mention de genre. Les pré-déclarations sont ouvertes depuis le 1er août 2024 et plus 15.000 demandes auraient déjà été enregistrées.

Des règles particulières sont aussi prévues pour les mineurs et les majeurs protégés. Pour les mineurs d’abord, la procédure est plus encadrée : ceux de plus de 14 ans peuvent effectuer la déclaration eux-mêmes avec le consentement de leurs représentants légaux, tandis que pour les moins de 14 ans, seuls les représentants peuvent initier la demande, avec le consentement de l’enfant dès l’âge de 5 ans. Dans tous les cas, la déclaration doit contenir une attestation certifiant que le mineur a reçu des conseils par un psychologue ou par des organismes de protection de l’enfance et de la jeunesse. Pour les majeurs protégés ensuite, le tuteur doit solliciter l’autorisation du juge des tutelles pour pouvoir déposer la déclaration. Le juge devra vérifier que la demande respecte le droit à l’autodétermination de la personne protégée.

Quels sont les effets de la modification du genre sur les règles sexospécifiques ?

Lors de la loi de modernisation de la Justice au XXIe siècle du 18 novembre 2016, le législateur français avait consacré la procédure de modification de la mention de sexe à l’état civil sans anticiper les conséquences d’une telle modification. Quel est le mode de filiation d’un homme enceint et d’une femme ayant procréé avec ses gamètes mâles ? Qu’en est-il de l’affectation genrée des personnes trans incarcérées, des mesures de parités dans les élections, ou encore de celles sur les compétitions sportives ? Toutes ces questions traitent de ce qu’on nomme les « règles sexospécifiques », c’est-à-dire celles dont le régime diffère en fonction du genre de la personne. Or, ces règles ont été conçues en fonction du sexe biologique et non de l’identité de genre. Partant, la modification de la mention de sexe à l’état civil ne peut être envisagée de manière isolée.

Contrairement à son homologue français, cette lacune n’a pas été reproduite par le législateur d’outre-Rhin, et ce, même si de nombreuses règles sexospécifiques n’ont pas été repensées. Principalement, la loi allemande se contente d’affirmer l’absence d’incidence du genre dans la plupart des règles sexospécifiques. En ce sens, le fait qu’une personne change de genre n’a pas d’effet sur les règles relatives à la grossesse, à l’accouchement, à l’allaitement. Sur la filiation, la loi renforce l’idée d’une neutralité genrée du droit en permettant d’utiliser le terme « parent » au lieu de « mère » ou « père ». D’autres dispositions ont été édictées en matière de quotas sexués et d’épreuves sportives.

En définitive, il ressort de cette présentation – inévitablement incomplète – que la loi SBGG est une percée significative des droits des minorités sexuées et genrées dont pourrait à l’avenir s’inspirer le législateur français.