Par Evelyne Lagrange, Professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Jean Matringe, Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Anne Peters, Professeure aux universités de Bâle, Heidelberg, et à la Freie Universität Berlin, et co-Directrice de l’Institut Max Planck de droit public étranger et de droit international public, Heidelberg ; Thibaut Fleury-Graff, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas ; Romain Le Bœuf, Professeur de droit public à Aix-Marseille Université.

OPINION – Depuis les attaques du Hamas en territoire israélien – qu’il faut dénoncer, juger et combattre comme actes de terrorisme, crimes de guerre voire crimes contre l’humanité – le Proche-Orient est, de nouveau, le théâtre d’une insoutenable spirale de violences et de vengeance dont les victimes immédiates sont les civils, israéliens, palestiniens et d’autres nationalités.

Ces attaques odieuses et la riposte israélienne massive dans la bande de Gaza s’inscrivent dans un conflit long, marqué par de graves violations du droit international et lourd de souffrances indicibles pour les Israéliens, les Palestiniens et certains de leurs voisins. Plutôt qu’à le résoudre et à faire vivre les Accords d’Oslo, les efforts diplomatiques ont été employés depuis des années à escamoter le processus de paix, privant de perspectives la Palestine sans garantir pour autant la sécurité d’Israël.

L’heure de la diplomatie pour la paix n’a peut-être pas encore sonné. Le règlement de paix, sans doute avec des garanties internationales, devra tenir compte des principes bien établis du droit international, rappelés dans des résolutions de l’ONU et dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, pour mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens et à la politique de colonisation, répondre au besoin de reconnaissance et de sécurité des deux Etats, Israël et la Palestine, tenir compte des droits des réfugiés palestiniens, préciser le statut de Jérusalem et régler la question des réparations.

Pour l’heure, la première priorité est de ne pas laisser les armes parler seules. Face à la violence extrême qui frappe les civils et menace de s’étendre à la Cisjordanie et à l’ensemble du Proche-Orient, face à la surenchère des uns et aux prudences de langage excessives des autres, le rappel de l’esprit et des règles fondamentales du droit international est une nécessité morale et politique.

1- Israël ne peut recourir à la force, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité, que pour protéger sa population et son territoire contre des attaques continues, ou, peut-être, de manière ciblée, pour libérer les otages. La légitime défense ne saurait couvrir toutes les opérations présentes et passées d’Israël en tant que puissance occupante des territoires palestiniens. Quant aux groupes qui prétendent libérer ces territoires par la force, le droit international ne saurait permettre davantage que des opérations armées contre l’occupation militaire israélienne, en aucun cas pour détruire Israël ou attaquer des civils.

2- Qu’il soit motivé par la légitime défense ou par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le recours à la force est soumis à desconsidérations élémentaires d’humanité qui inspirent et complètent des règles plus précises du droit international humanitaire, elles aussi contraignantes pour les parties et elles aussiactuellement violées de manière manifeste. Pas plus ces considérations que ces règles ne peuvent s’accommoder des appels à la vengeance, des prises d’otages et des meurtres de civils commis en Israël, du siège total de la bande de Gaza privant rapidement la population de tout moyen de subsistance ou des bombardements disproportionnés ou ne respectant pas le principe de distinction. A elles seules, les considérations élémentaires d’humanité commandent la libération inconditionnelle des otages et des mesures assurant la protection immédiate et effective des populations civiles israélienne et palestinienne.

3- Le non-respect de ces considérations élémentaires et les violations graves du droit international humanitaire engagent la responsabilité de leurs auteurs – Etats, groupes armés et individus de toutes nationalités.

Le rappel et le respect de ces principes fondamentaux sont la première condition d’une désescalade qui permette, enfin, de garantir la sécurité et la dignité des populations civiles, leur accès aux services de base, en Israël et en Palestine, puis, à terme, des discussions pour concrétiser une solution durable pour les peuples de ces deux Etats.

Contrairement à une idée reçue, le droit international fait plus qu’énoncer des principes.

D’une part, il impose clairement aux belligérants ainsi qu’à tous les Etats l’obligation de les respecter et les faire respecter parce qu’ils intéressent, au fond, l’humanité tout entière.

D’autre part, le respect des règles fondamentales du droit international étant l’affaire de chaque Etat et de la communauté internationale dans son ensemble, cette dernière doit envisager, si les parties au conflit ne le font pas, les moyens de protéger les populations civiles. De même doit-elle s’assurer de l’exercice sans abus du droit de légitime défense et du non-usage d’armes et méthodes de guerre prohibées, organiser la coopération pour faire cesser les violations graves des normes fondamentales, et réprimer, si les Etats s’en abstiennent, les crimes internationaux commis.

Des institutions internationales sont compétentes, en particulier le Conseil de sécurité, dramatiquement paralysé à ce jour, l’Assemblée générale des Nations Unies, qui peut partiellement se substituer à lui, et la Cour pénale internationale. Tenus de coopérer pour faire cesser les violations graves de normes fondamentales, les Etats peuvent et doivent les (re)mettre en mouvement.

Amorcée il y a quelques jours, l’aide humanitaire à Gaza, qui ne peut être soumise qu’aux seuls principes d’humanité, neutralité et impartialité, constitue un tout premier pas vers la concrétisation de ces considérations élémentaires d’humanité. Le pas suivant devrait maintenant consister en une trêve humanitaire – demandée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 27 octobre 2023 – et, par ailleurs, la libération des otages.

Lorsqu’un cessez-le-feu sera conclu ou imposé aux belligérants, il sera plus que temps de passer à l’étape suivante : la conclusion d’un traité de paix en bonne et due forme. De nombreux conflits, d’une gravité tout aussi extrême, ont trouvé dans le passé des solutions dans le cadre du droit international ; il n’existe aucune raison valable pour supposer que celui-ci ne le pourrait pas. Un « règlement de paix juste, durable et global » (résolution 65/16 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 30 novembre 2010), succédant à un cessez-le-feu précaire, pourra seul apporter la tranquillité aux peuples concernés, à la région et au monde.

Il convient de le rappeler : les principes fondamentaux du droit international n’ont été patiemment forgés ni pour le seul plaisir des juristes, ni pour que les Etats puissent les invoquer au gré de leurs seuls intérêts ou de ceux de leurs alliés. Leur raison d’être est de protéger partout individus, peuples et Etats contre l’anéantissement de leurs droits élémentaires et le mépris de leur dignité ; de préserver les chances de la paix ; de donner corps à un minimum de conscience universelle et de solidarité entre les nations ; de protéger, ici, les enfants d’Israël et les enfants de Palestine, les uns et les autres.