Par Aurélien Baudu, Professeur à l’Université de Lille et Xavier Cabannes, Professeur à l’Université Paris Cité

Les procédures budgétaires prévues par la Constitution et, notamment, par la LOLF sont-elles problématiques ?

Il semblerait, selon les déclarations de la présidente de l’Assemblée nationale, que le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale ait été missionné pour réfléchir à l’évolution des règles d’encadrement des débats budgétaires. Faudrait-il en conclure que la situation politique actuelle à l’Assemblée nationale aurait forcément vocation à se pérenniser ? Rien n’indique que les Français ne feront pas clairement un autre choix électoral dans deux ans (ou avant) ; le retour d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale demeure toujours envisageable, ce qui mettrait un terme aux difficultés actuelles de doter la France d’une loi de finances. Pourquoi une telle volonté de modifier les textes, comme la LOLF déjà récemment retouchée, fixant les procédures d’adoption des lois de finances voire des autres lois financières ? Il est vrai que les règles européennes d’encadrement des finances publiques nationales ont évolué au printemps 2024, et qu’une directive nous conduit à de légers ajustements techniques avant le 31 décembre 2025, mais pas de quoi mettre bas les procédures budgétaires existantes.

La présidente de l’Assemblée nationale estime que la « tuyauterie juridique » entrave le débat parlementaire normal et empêche les compromis entre les députés. Pour ce faire, elle souhaite une réflexion autour des autres modalités possibles de gestion du temps budgétaire ; du renforcement de l’influence des commissions des finances sur l’élaboration des textes budgétaires ; tout en explorant des pistes nouvelles sur l’organisation des débats parlementaires (par grands thèmes plutôt que par distinction recettes/dépenses…). Faut-il encore rappeler que la loi de finances n’est pas une loi comme les autres, elle contient le budget de l’État, acte politique majeur d’un gouvernement, par lequel il définit en grande partie la politique de la Nation, construit autour du consentement de l’impôt et d’un article d’équilibre entre les recettes et les dépenses de l’État. Cette exception législative en matière financière a assuré à la France plus de 60 budgets sans encombre majeur depuis le début de la Ve République, afin de mettre un terme aux dérives financières chroniques des régimes d’assemblée des IIIe et IVe Républiques (douzièmes provisoires, crédits additionnels, etc.). Et au motif que nous connaissons depuis deux ans une situation politique inédite à l’Assemblée nationale, enrayant le fonctionnement habituel de la mécanique parlementaire et budgétaire, nous devrions jeter à la corbeille toute l’artillerie et l’horlogerie parlementaire et budgétaire qui a fait notre stabilité ? Nous avons le sentiment que le diagnostic ainsi posé n’est pas le bon, à moins que l’un des objectifs soit de revoir certains fondamentaux de la Ve République… Ce ne sont pas les procédures budgétaires à suivre qui créent la situation actuelle mais la fragmentation politique à l’Assemblée nationale et l’absence de majorité solide parmi les députés.

Quelle est l’utilité des règles actuelles en matière budgétaire ?

Ce sont ces « règles » qui peuvent protéger le Parlement de ses propres maux, face à la fuite en avant budgétaire. Ce qui manque, ce ne sont pas de nouvelles règles, mais de la volonté politique, de la pédagogie, et, disons-le franchement, un peu de courage pour prendre à bras le corps la question de la dette publique et les décisions difficiles qu’elle implique. D’ailleurs pourquoi n’y a-t-il pas eu cette année à l’Assemblée nationale, contrairement au Sénat, de débat séparé et officiel « sur la dette publique » au sens formel prévu par les textes ? Les règles actuelles ne viennent pas ralentir ou compliquer l’examen des lois de finances, au contraire, elles sont là pour permettre au Gouvernement de « protéger » l’œuvre d’une administration qui a mis neuf mois à produire un document budgétaire. Malheureusement, ces derniers mois, l’Assemblée nationale a davantage démontré son incapacité collective à produire une solution fiscale alternative et crédible économiquement. Et quand elle y parvient politiquement, à force de chercher un chemin qui ressemble à un sentier escarpé et accidenté, c’est au détriment de la dette publique et de l’équilibre de nos comptes publics déjà bien mal en point. Il n’y a là rien de juridique comme problème… Si la remise en cause de l’exception législative financière nous semble dangereuse pour la stabilité et la crédibilité financière de la France, il n’est cependant pas exclu que certains ajustements techniques soient envisagés au regard de ce qui s’est déroulé au Parlement ces derniers mois.

Aujourd’hui, le calendrier budgétaire au Parlement est extrêmement resserré et pose des difficultés. Les députés de la commission des finances disposent de peu de temps pour travailler, en dehors des délais constitutionnels, à la connaissance du projet de loi de finances. Les débats sont précipités, et la qualité des rapports de la commission des finances de l’Assemblée nationale s’est donc dégradée malgré elle. Il est donc impératif que la règle du « premier mardi d’octobre » ne soit plus violée par le Gouvernement. Il ne s’agit donc pas de changer la règle mais de la respecter de nouveau. En outre, le gouvernement pourrait offrir davantage de temps aux parlementaires pour analyser les données économiques et les prévisions comme tel était le cas au début de la Ve République, en déposant son texte un peu plus tôt, en septembre.

Repenser l’articulation actuelle entre les textes législatifs financiers semble compliqué, à droit constitutionnel constant. Seule une révision constitutionnelle le permettrait. Ainsi, pour rendre la loi de programmation des finances publiques réellement contraignante juridiquement, celle-ci doit au préalable « muter » en loi-cadre des finances publiques pour que le débat budgétaire annuel au Parlement soit piloté par celle-ci. En outre, si on peut comprendre les problèmes liés à l’existence concomitante et parallèle d’une loi de finances et d’une loi de financement de la Sécurité sociale (redondances des débats, complexité technique, etc.), il demeure une différence fondamentale entre les deux textes : le premier est porteur d’un budget, contrairement au second. La fusion de ces deux textes financiers est une « vieille lune » du droit des finances publiques. A minima c’est donc un parallélisme procédural qui prévaut et qui peut être ajusté.

Existerait-il un risque à un bouleversement d’ampleur des procédures budgétaires ?

En laissant entendre que l’exception législative financière est la cause du mal, alors qu’elle est la voie de la prévention, on pousse l’observateur à fermer les yeux sur le véritable problème : la situation politique à l’Assemblée nationale et l’incapacité de cette dernière à faire voter un texte financier plus vertueux et économiquement crédible. Réduire l’usage illimité de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution aux projets de lois de finances et de financement de la Sécurité sociale n’a pas été une bonne réforme en 2008 car ce n’est pas la nature du texte qui détermine l’usage de cet article mais bien la situation politique à l’Assemblée nationale. N’est-il pas étrange de vouloir priver le Gouvernement « d’artillerie » lorsqu’il est embourbé dans une « bataille » avec des députés qui ont la force du nombre et qui d’ailleurs ne poursuivent pas tous nécessairement le même objectif ? Son maintien dans la Constitution n’empêche d’ailleurs pas la culture du compromis de se construire. N’oublions pas que la loi de finances pour 2025 a été permise grâce à ce dispositif…

Certains observateurs prétendent « moderniser » les règles d’amendement parlementaire par la suppression des irrecevabilités financières de l’article 40 de la Constitution, au motif que cela constituerait une « guillotine » terrible qui tomberait particulièrement sur les amendements des députés. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a considérablement assoupli le couperet, qui demeure un filtre opportun, dans les mains de la commission des finances de l’Assemblée nationale, face à l’obstruction du nombre observée depuis 2017. En outre, les parlementaires peuvent proposer des amendements qui « baissent » les dépenses publiques, comme les endettements et déficits publics excessifs devraient le commander. Ce n’est pas en assouplissant l’article 40 de la Constitution que l’on fluidifiera le débat budgétaire demain, c’est même tout l’inverse. Ce n’est pas en enlevant la tuyauterie juridique qu’on débloquera le budget car on risque l’inondation dépensière et au final de se noyer financièrement !