Par Mathieu Soula, professeur d’Histoire du droit à l’Université Paris-Nanterre

Pourquoi recourir à une résolution pour reconnaître un crime du passé ?

L’historien Pierre Vidal-Naquet, qui a lutté contre le révisionnisme, faisait remarquer que « les États admettent rarement d’avoir été criminel ». Pourtant, on constate, depuis la fin des années 1980, le développement global des reconnaissances et excuses des crimes commis par les États dans le passé : les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, Taïwan, le Japon, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ou encore l’Italie, de nombreux États ont reconnu ou présenté des excuses pour des massacres, des politiques coloniales ou esclavagistes. La France, dès le discours du président Jacques Chirac du 16 juillet 1995 sur la rafle du Vel d’Hiv, reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des juifs lors de la seconde guerre mondiale, participe à ce mouvement. Trois moyens sont utilisés pour faire acte de reconnaissance : la loi, la résolution ou le discours officiel lors d’une cérémonie commémorative. En 2001, la loi a été utilisée pour reconnaître le génocide arménien, puis l’esclavage comme crime contre l’humanité. L’intense débat qui s’est ensuite ouvert sur l’opportunité des lois « mémorielles » a favorisé l’adoption d’un nouvel outil constitutionnel : la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution l’article 34-1 qui autorise les assemblées à voter des résolutions, moyen désormais privilégié pour reconnaître un crime passé. Par ce biais, en 2023, le Sénat a reconnu le génocide des Assyro-Chaldéens (1915-1918) et l’Holodomor (1932-1933), et l’Assemblée nationale a reconnu l’Holodomor comme génocide. La reconnaissance du massacre du 17 octobre innove en ce que la résolution porte, pour la première fois, sur un crime français.

Que recouvre cette reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 ?

Le 17 octobre 1961, dans le contexte de la guerre d’Algérie, à l’appel du FLN de braver le couvre-feu imposé aux « Français musulmans d’Algérie », des milliers d’Algériens manifestent pacifiquement dans Paris. La répression policière, sous l’autorité du préfet Maurice Papon, est sanglante. Le décompte officiel fait état de quelques morts, alors que, selon témoins et historiens, il se chiffrerait à plusieurs centaines, de nombreux corps ayant été retrouvés les jours suivants flottant dans la Seine. Cette féroce répression n’a jamais été l’objet d’une mise en cause officielle, ni de poursuites. Pourtant, la mémoire de cet événement ne s’est jamais perdue. En 2012, le président François Hollande évoque dans une déclaration « la sanglante répression », et en 2021, le président Emmanuel Macron rend hommage aux victimes lors d’une cérémonie commémorative. La présente résolution prend plus largement place dans une entreprise de pacification de la mémoire officielle de la guerre d’Algérie initiée sous la présidence de François Hollande et systématisée sous celle d’Emmanuel Macron, à la suite, notamment, du rapport Stora du 20 janvier 2021. Par exemple, en 2021, le président Emmanuel Macron reconnaît le sacrifice des Harkis et demande pardon aux combattants abandonnés et à leurs familles, et, en 2022, il reconnaît le massacre d’Oran du 5 juillet 1962 et la tuerie de la rue d’Isly du 26 mars 1962. La résolution n° 273 poursuit cette introspection, jusque-là engagée seulement par la présidence. L’Assemblée montre qu’elle est partie prenante de la réparation symbolique des crimes liés à la guerre d’Algérie.

Quels effets peut-on attendre de cette reconnaissance ?

Comme dans le cas des lois « mémorielles », il n’y a pas d’effet juridique à attendre de la résolution car elle n’a aucun pouvoir contraignant. En revanche, elle a des effets symboliques. Elle rend d’abord une forme de justice aux victimes en nommant les faits : la résolution qualifie la répression de « massacre », ce qui n’est pas neutre. Ensuite, elle reconnaît la qualité de victimes à celles et ceux qui ont subi, parfois jusqu’à la mort, cette sanglante répression, ce qui symboliquement est important. Elle donne, enfin, une version officielle de cette journée et participe à rendre ce nouveau sens commun. Il y a, aussi, des effets politiques attendus : la pacification des relations avec l’État algérien. On peut regretter, cependant, le sens implicite de la résolution qui semble tout mettre à la seule charge du préfet de police, Maurice Papon, de sinistre mémoire, cité dans le préambule et l’article 1er. Comme si, finalement, il était le seul responsable du massacre, en lieu et place de l’État dont il était un rouage. Cette résolution est, certes, très importante, mais ses points aveugles ne refermeront pas totalement le débat sur cette sanglante journée.