Par Anne Ponseille, Maître de conférences en droit privé, Co-directrice du Master Droit de la sanction et exécution des peines, Faculté de Droit et de Science politique, Université de Montpellier.

Qu’est-ce que la grâce présidentielle ?

Héritage du droit romain et de l’ancien droit, le droit de grâce au bénéfice d’une personne pénalement condamnée est une prérogative personnelle du chef de l’État qu’il tient de l’article 17 de la Constitution de 1958 disposant que « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Avant que la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 ne les fasse disparaître, des grâces collectives pouvaient également être octroyées par le Président, selon une pratique qui était devenue une tradition annuelle.

Le Code pénal ne consacre que deux courtes dispositions dans sa partie législative à la grâce désormais seulement individuelle : l’article 133-7 qui prévoit que « la grâce emporte seulement dispense d’exécuter une peine » et l’article 133-8 aux termes duquel « la grâce ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction ». Par une jurisprudence qui n’est pas abondante, la Cour de cassation est venue apporter des précisions concernant l’application de ces textes.

La demande de grâce peut émaner de la personne condamnée ou de son avocat, du ministère public, du juge de l’application des peines ou de l’administration pénitentiaire en raison d’un comportement de la personne condamnée jugé exemplaire (É. Bonis, V. Peltier, Droit de la peine, LexisNexis, 2023, n°1029). La gravité de l’infraction ainsi que la nature et la sévérité de la peine à laquelle l’intéressé a été condamné, importent peu, du moment que la demande porte sur la dispense d’exécution d’une mesure qui consiste en une peine telle que celles prévues par le Code pénal.

La requête en grâce est reçue par le procureur de la République près le tribunal ayant prononcé la condamnation et elle est ensuite instruite par le ministre de la Justice (article R. 133-1 du Code pénal). Lorsque le Président de la République fait usage de son droit de grâce, il n’a pas à s’en expliquer. L’octroi de cette mesure se fait par un décret qu’il signe et qui est contresigné par le Premier ministre et le garde des Sceaux (article R. 133-2 du Code pénal). Il présente la particularité de ne pas être publié au Journal officiel. Une fois accordée, la grâce est irrévocable et le décret ne peut faire l’objet d’aucun recours.

Au plan pénal, lorsqu’elle est octroyée, la grâce peut être totale ou partielle, c’est-dire qu’elle dispense la personne condamnée d’exécuter la peine prononcée ou seulement une partie de celle-ci, au choix du Président. Cependant, elle laisse subsister la condamnation et tous les effets qui lui sont attachés : ainsi notamment, la peine reste inscrite au casier judiciaire. Au plan civil, la personne bénéficiant d’une telle mesure ne sera pas exemptée, en revanche, d’indemniser la victime de l’infraction si celle-ci formule une demande de réparation.

Remettant en cause une décision de condamnation pénale, elle est peu fréquemment accordée : par exemple, le Président Emmanuel Macron a gracié une seule personne condamnée au cours de ses deux mandats et son prédécesseur, François Hollande, avait eu recours à la grâce à deux reprises.

Une grâce présidentielle pourrait-elle bénéficier à Marine Le Pen concernant la peine d’inéligibilité qui a été prononcée avec exécution provisoire à son encontre ?

La question n’est pas dénuée d’intérêt et invite à se pencher sur les conditions d’application de ce mode d’extinction des peines dans ce cas particulier.

Prévue à l’article 472 du Code de procédure pénale, l’exécution provisoire peut être décidée par le juge pour certaines peines qu’il prononce et elle a pour conséquence d’entraîner l’application immédiate de la peine. Ce dispositif fait ainsi obstacle à l’effet suspensif attaché par principe à l’appel.

À s’en tenir à la lettre de l’article 133-7 du Code pénal qui dispose, comme précédemment indiqué, que l’effet de la grâce est de dispenser de l’exécution d’une peine, l’on pourrait légitimement penser qu’une demande de grâce est recevable dès lors que la peine est exécutoire ou en cours d’exécution, que cette peine émane d’une condamnation définitive ou pas. Ainsi, Marine Le Pen pourrait bénéficier d’une remise gracieuse dans la mesure où elle exécute bien actuellement la peine d’inéligibilité.

Cependant, il convient sans doute de ne pas perdre de vue que, par sa nature et son régime, en ce qu’elle porte une atteinte manifeste à la séparation des pouvoirs en remettant en cause l’autorité de la chose jugée, la grâce ne peut être conçue comme un moyen ordinaire de remise en cause d’une décision de condamnation. Elle n’est qu’un « ultime recours » pouvant être mobilisé lorsque les voies de recours classiques que sont l’opposition, l’appel et le pourvoi en cassation ont été utilisées ou les délais de ces recours expirés. Si la loi ne formule pas explicitement une telle exigence, la Cour de cassation avait posé comme condition au bénéfice de grâces collectives le caractère définitif de la décision de condamnation (Cass. crim., 20 octobre 1992, n° 92-83.285, publié au Bulletin criminel n° 328). Quant à la doctrine, elle rappelle cette condition de recevabilité de la demande de grâce (C. Étienne, J.-B. Perrier, Fascicule 20 : Grâce, JurisClasseur Pénal Code – Art. 133-7 et 133-8, 2016, § 16 ; É. Bonis, V. Peltier, précité, LexisNexis, 2023, n°1025); M. Giacopelli, A. Ponseille, Droit de la peine, LGDJ, 2023, n° 357). Toute autre solution reviendrait à faire de la demande de grâce le moyen de pallier l’absence de recours spécifique pour mettre en échec l’exécution provisoire.

La réponse à la question posée nous semble donc devoir être négative. S’il paraît peu souhaitable d’élargir le champ d’application de la grâce pour les raisons précédemment évoquées, une réflexion pourrait néanmoins être menée sur une éventuelle réforme du régime de l’exécution provisoire par la création d’un recours spécifique, étant rappelé qu’elle est quotidiennement décidée à l’égard de nombreux justiciables.

Cependant, si par extraordinaire une interprétation libérale des conditions de recevabilité de la demande de grâce devait être retenue, il serait assez stupéfiant que celle qui a qualifié la décision judiciaire la condamnant d’éminemment « politique » sollicite une grâce du Président de la République et que celui-ci, dans l’hypothèse où il serait saisi d’une telle demande, la lui accorde alors qu’il a rappelé, et fort heureusement car il en est le garant en application de l’article 64 de la Constitution, que la justice était « indépendante ».