Par Guillaume Beaussonie, professeur à l’Université Toulouse Capitole

Pourquoi une nouvelle directive ?

Entrée en vigueur dans les États membres le 26 décembre 2010, la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal définissait un ensemble d’infractions graves à l’encontre de l’environnement et imposait aux États membres de l’Union européenne d’introduire des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives à l’encontre de ce type d’infraction lorsqu’elle est délibérée ou relève d’une négligence grave.

À la suite d’une évaluation réalisée en 2019-2020, la Commission européenne a conclu que l’effet de la directive avait été limité, tant le nombre d’affaires ayant fait l’objet d’une enquête ayant abouti à une condamnation restait faible. Les sanctions imposées étaient en outre elles-mêmes trop faibles pour être dissuasives et la coopération transfrontière n’avait pas été systématique. Le 15 décembre 2021, la Commission a donc présenté une proposition visant à améliorer l’efficacité de la directive, sur le fondement de la compétence pénale accessoire de l’UE (art. 83 § 2 TFUE).

L’analyse d’impact accompagnant cette proposition révèle des choses intéressantes, notamment que la criminalité environnementale représente le quatrième domaine d’activité criminelle le plus rentable au monde, avec un profit total estimé à environ 260 milliards de dollars par an, la réponse pénale n’ayant pas été à la hauteur pour plusieurs raisons : la liste de comportements incriminés est dépassée et définie d’une manière complexe, ce qui entrave l’efficacité des enquêtes, des poursuites et de la coopération transfrontière ; les niveaux de sanction ne sont pas efficaces et dissuasifs dans tous les États membres ; les décideurs et praticiens ne sont pas suffisamment informés et formés, de même que leur coordination est insuffisante.

Une intervention au niveau de l’Union européenne apparaissait indispensable car les crimes environnementaux ont généralement des implications transfrontières : certains crimes environnementaux ont tendance à toucher plusieurs pays (par exemple, le trafic illicite de déchets, d’espèces protégées ou de produits d’espèces sauvages) ou ont des effets transfrontières (par exemple, dans le cas de la pollution transfrontière de l’air, de l’eau et du sol). Il fallait alors, non seulement, renforcer la coopération judiciaire entre les autorités compétentes des États membres, mais aussi veiller à ce que les auteurs d’infractions, y compris les entreprises, ne puissent plus rester impunis en choisissant, par exemple, d’opérer dans les États membres qui ont la législation la plus clémente.

Qu’est-ce qui va changer en droit français ?

Pour ne pas paraître très effectif, le droit pénal de l’environnement français n’en semble pas moins déjà conforme en grande partie au contenu de la future directive. Pour l’essentiel, celle-ci élargit la liste des crimes environnementaux (par exemple, au commerce illégal du bois et à l’épuisement des ressources en eau), incite à les punir plus intensément (peine de prison allant de 5 à 10 ans ; amendes pouvant s’élever, pour les entreprises, jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires mondial ou jusqu’à 40 millions d’euros) et oblige les auteurs d’infractions à restaurer l’environnement dégradé et à compenser les dégâts occasionnés.

La France a déjà amorcé ce mouvement, essentiellement par l’entremise de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « Climat et résilience »). Tout en relevant le seuil de plusieurs sanctions, celle-ci a incriminé de façon inédite l’écocide ou le risque environnemental. À cela s’ajoute la possibilité, depuis la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, de recourir en la matière à une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) que les parquets ont déjà fortement mobilisée. À la fin, si l’on ne peut affirmer que le droit pénal de l’environnement s’avère, en France, pleinement effectif, un phénomène est en marche que concrétise en quelque sorte l’adoption d’une nouvelle directive.

Quid de l’écocide ?

Le 29 mars 2023, les eurodéputés avaient adopté à l’unanimité l’inscription de l’écocide dans le droit de l’Union européenne, l’infraction étant ainsi définie : « lorsqu’une infraction pénale environnementale cause des dommages graves et étendus, ou graves et à long terme, ou graves et irréversibles, à la qualité de l’air, à la qualité du sol ou à la qualité de l’eau, ou à la biodiversité, aux services et fonctions écosystémiques, ou aux animaux ou aux végétaux, une telle infraction devrait être considérée comme un crime d’une gravité particulière, et sanctionnée comme telle conformément aux systèmes juridiques des États membres, couvrant l’écocide, pour lequel les Nations unies travaillent actuellement sur une définition internationale officielle ». À la fin, dans la position du Parlement européen arrêtée le 27 février 2024, il est précisé que « les infractions pénales relatives à un comportement intentionnel énumérées dans la présente directive peuvent conduire à des résultats catastrophiques, tels qu’une pollution généralisée, des accidents industriels ayant des effets graves sur l’environnement ou des incendies de forêt de grande ampleur. Lorsque de telles infractions causent la destruction d’un écosystème d’une taille considérable ou d’une valeur environnementale considérable ou d’un habitat au sein d’un site protégé, ou causent des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles soit durables à un tel écosystème ou habitat, ou causent des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles soit durables à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, ces infractions, qui conduisent à de tels résultats catastrophiques, devraient constituer des infractions pénales qualifiées et par conséquent être passibles de sanctions plus sévères que celles applicables dans le cas d’autres infractions pénales définies dans la présente directive. Ces infractions pénales qualifiées peuvent englober un comportement comparable à un « écocide », qui est déjà couvert par le droit de certains États membres et fait l’objet de discussions dans les enceintes internationales ».

L’écocide semble donc avoir vocation à demeurer – comme c’est déjà le cas en France – une « surqualification » ou, si l’on préfère, une infraction aggravée – généralement une pollution – à raison de sa cause intentionnelle et de ses effets graves et durables plus qu’une infraction autonome.