Par Rémy Josseaume, Avocat à la Cour, Président de la Commission Droit routier du Barreau de Paris

Que prévoyait exactement l’amendement parlementaire ?

Pour écarter tout procès en discrimination sur l’âge, une proposition parlementaire européenne visait à imposer indistinctement à tous les usagers de la route une visite médicale tous les 15 ans. Le 28 février dernier, une majorité de députés européens écartait cette obligation afin d’éviter les discriminations et de garantir le droit à la libre circulation et à la participation des personnes à la vie économique et sociale. Il a été privilégié l’auto-évaluation du conducteur lors de la délivrance et du renouvellement du permis de conduire.

Chaque Etat membre reste donc décisionnaire pour la mise en place ou non d’un examen médical. Les pays de l’UE sont invités à déployer davantage d’efforts pour sensibiliser les conducteurs aux signaux mentaux et physiques qui peuvent mettre une personne en danger lorsqu’ils conduisent.

Cette visite médicale est-elle justifiée ?

Les données d’accidentalité démontrent que les séniors sont plus en danger que dangereux sur les routes. La pierre angulaire de la sécurité routière demeure la lutte contre la délinquance routière. Elle n’est absolument pas concernée par des accidents liés à des problématiques d’inaptitude à la conduite. Selon la Société Française de Gériatrie et Gérontologie, la mortalité́ des seniors sur la route n’est pas proprement liée au fait de conduire mais surtout à̀ l’augmentation de la fragilité́ physiologique lors d’un choc et à l’utilisation de modes de déplacements les rendant plus vulnérables.

Les séniors ont 50 % moins d’accidents de la route. Il sont plus vulnérables lorsqu’ils sont piétons ou victimes d’accident de la route. Les plus anciens s’empêchent de conduire et n’optent pas les conduites à risques. Ils ne constituent pas la délinquance routière.

L’aptitude des conducteurs est-elle contrôlée en France ?

Ne croyez pas qu’il n’existe aucune procédure de contrôle médicale des usagers de la route en France. D’une part, à la suite de toute suspension, annulation ou invalidation du permis de conduire, l’usager infractionniste est contraint à une ou plusieurs visites médicales et à l’accomplissement de tests psychotechniques (art. R221-14-1 du code de la route). Des centaines de milliers d’usagers s’y soumettent chaque année. Il faut en priorité « examiner » et mettre sous surveillance ceux qui commettent des infractions au code de la route plutôt que ceux qui n’en commettent pas.

D’autre part, le préfet dispose du droit de soumettre toute personne à une visite médicale postérieurement à la délivrance du permis. C’est le cas pour ceux qui sont atteints de certaines affections dont la liste est fixée par arrêté ministériel (arrêté du 28 mars 2022 fixant la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements ou restrictions pour l’obtention, le renouvellement ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée). Sont notamment visés les handicaps physiques, visuels, auditifs, les pathologies psychiatriques, les troubles psychologiques et neurologiques, les pratiques addictives, les pathologies cardiovasculaires, les pathologies métaboliques (hypoglycémie et diabète), et les troubles de l’équilibre et du sommeil. Le préfet peut ainsi enjoindre à un conducteur de se soumettre à un contrôle médical de l’aptitude à la conduite dans le cas où les informations en sa possession lui permettent d’estimer que l’état de santé du titulaire du permis peut être incompatible avec le maintien de ce permis de conduire. Cet examen médical est réalisé par un médecin agréé. Au vu de l’avis médical émis, le préfet prononce, s’il y a lieu, soit la restriction de validité, la suspension ou l’annulation du permis de conduire, soit le changement de catégorie de ce titre (art. R221-14-1 du code de la route).

Et maintenant quelle réforme ?

Fort de ces éléments et chiffres, le ministère de l’intérieur a récemment précisé que l’instauration d’une visite médicale obligatoire systématique pour les conducteurs, en particulier en fonction de l’âge, n’a pas été retenue en France et dans de nombreux pays, car elle n’a jamais fait la preuve de son efficacité (réponse parlementaire n°20039 du 01.09.2020). Cette position a été également confirmée par le Conseil National de la Sécurité Routière le 17 juillet 2023 refusant ainsi de proposer la généralisation de telles visites médicales.

Les pouvoirs publics s’orientent donc vers des propositions de réformes visant à renforcer la formation initiale et continue des médecins agréés en sécurité routière en termes de contenu médical de leur contrôle.

Les pouvoirs publics envisagent également d’imposer par voie réglementaire au médecin agréé de transmettre leurs avis à la préfecture  et de leur permettre au de consulter le fichier des permis de conduire pour mieux connaître les antécédents du patient.