« Niche fiscale Airbnb » : le feuilleton continue devant le Conseil d’Etat
Par une disposition adoptée par erreur dans la loi de finances 2024, le régime d’imposition des revenus des locations meublées touristiques a été grandement modifié. Les parlementaires voulaient mettre fin à ce qu’ils appelaient « la niche fiscale Airbnb ». L’Administration a décidé unilatéralement de repousser ses effets à 2025 afin d’éviter des difficultés pratiques pour les contribuables concernés. En réaction, un recours a été formé auprès du Conseil d’État. Le feuilleton continue.
Par Edouard Coulon, Maître de conférences, Droit public à l’Université de Lille.
Quel est le régime d’imposition qui a été modifié ?
Les détenteurs de locations meublées touristiques sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Ces locations sont offertes à une clientèle de passage, qui n’y élit pas domicile (différence avec un bail d’habitation), mais y jouit tout de même d’un usage exclusif (différence avec un hôtel).
Dans le cadre de leur déclaration de revenus, les bailleurs de locations meublées, professionnels ou non, réalisant de faibles chiffres d’affaires bénéficient du régime des microentreprises. Ce régime prévoit un abattement sur le revenu tiré de cette activité. Il représente les charges imputables sur les recettes et réduit d’autant l’assiette imposable au barème progressif. Avant la modification instaurée par la loi de finances 2024, ce régime était présenté comme avantageux pour ces locations par rapport au régime applicable aux revenus des locations nues. Si avantageux qu’il fut parfois qualifié de « niche fiscale Airbnb ».
Cette qualification concerne particulièrement certaines locations de meublés de tourisme, ayant obtenu un classement de la part d’un organisme habilité (1 à 5 étoiles) ou constituant des chambres d’hôtes. Si le contribuable réalisait moins de 188 700 euros de chiffre d’affaires hors taxe par an pour ces activités, il bénéficiait d’un abattement de 71 %.
Pour les meublés touristiques, ne se trouvant pas dans la catégorie précédente, le contribuable bénéficiait alors d’un abattement de 50 % en raison d’un chiffre d’affaires de moins de 77 700 euros, à l’instar des locations meublées classiques de longue durée.
Enfin, dans tous les cas, si le contribuable ne dispose pas du régime du micro, il est soumis au régime de droit commun du réel. Le contribuable doit alors tenir une comptabilité, un compte de résultat et un bilan au sein duquel le bien loué est inscrit à l’actif.
Quelle modification a été apportée au régime des microentreprises ?
Le régime des microentreprises pour les activités de location meublée de tourisme a été modifié par l’article 45 de la loi de finances 2024. Cette modification est marquée par une certaine confusion qui se lit à la fois lors de l’adoption de cette réforme et au sein de l’analyse du champ d’application de ce texte.
D’une part, cet article est issu du débat parlementaire. Ce dernier s’est cristallisé sur un premier amendement présenté par le gouvernement. Il désirait que le Parlement aligne le régime de location des meublés de tourisme sur celui des meublés classiques. L’amendement sénatorial, lui, proposa d’aligner le régime fiscal des microentreprises pour les locations de meublés de tourisme sur celui du régime des locations nues. Or, c’est ce texte qui a été adopté lors du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution au moment de la seconde lecture à l’Assemblée nationale, à la faveur d’une erreur du gouvernement.
D’autre part, ce texte crée, en principe, un nouveau régime de taxation des locaux meublés de tourisme, l’alignant sur celui des locations nues, c’est-à-dire un plafond du chiffre d’affaires de 15 000 euros pour un abattement de 30 %. Dans le détail, la règle est plus complexe. D’un côté, les locations de meublés touristiques (classés et maison d’hôte) semblent toujours bénéficier du régime antérieur. Mieux, les meublés classés peuvent bénéficier d’un abattement supplémentaire de 21 %, s’ils se situent dans des zones géographiques ne connaissant pas de déséquilibre sur le marché du locatif et si leur chiffre d’affaires demeure inférieur à 15 000 euros. Ce n’était pas la volonté des auteurs de l’amendement. De l’autre, les locations de meublés de tourisme, différenciés des meublés classiques, connaissent bien un régime des microentreprises analogues à celui des locations nues.
Par cette modification, une partie des contribuables va basculer vers le régime réel d’imposition des entreprises. Or, ne bénéficiant pas d’une entrée en vigueur spécifique, cette disposition concerne alors en principe les revenus de l’année 2023, qui devront être déclarés en mai. Les contribuables devront présenter une comptabilité pour les revenus concernés. Cette situation constitue une difficulté pratique pour les contribuables qui n’ont pas tenu cette comptabilité durant l’année 2023.
Quel est le problème ?
Prenant en compte la conséquence précédemment évoquée, l’administration fiscale a publié une actualisation de son commentaire sur le régime fiscal de la location meublée touristique le 14 février 2024. Elle a indiqué que le régime antérieur des microentreprises à ces locations meublées touristiques était maintenu.
À la suite de cette publication, des sénateurs ont formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Les parlementaires constatent la violation de la loi de finances et souhaitent que le juge prononce l’annulation de cette doctrine.
Toutefois, la saisine des sénateurs ne devrait pas remettre en cause cette tolérance administrative. La solution du Conseil d’État devrait arriver après la période de déclaration en mai. De plus, malgré une éventuelle annulation, les contribuables pourraient tout de même se prévaloir de cette doctrine administrative, car le Conseil d’État devrait limiter dans le temps les effets de sa décision. Cette opposabilité interroge alors sur le champ des compétences de l’Administration qui a la possibilité d’instaurer une tolérance, aussi légitime soit-elle, à l’application d’une loi fiscale, aussi erronée et rude soit-elle.
Enfin, cette atteinte pourrait demeurer tout à fait exceptionnelle, car une proposition de loi contient d’ores et déjà les éléments permettant une nouvelle modification de ce régime d’imposition. Plus globalement, relativisant l’intérêt de cette réforme, les contribuables détenant de nombreux biens en location touristique en zone tendue sont déjà soumis au régime du réel d’imposition selon toute vraisemblance. Par conséquent, à l’inverse des motivations de l’amendement sénatorial, la fiscalité ne semble pas être un levier assez efficace, à lui seul, pour remédier à la crise du logement.