Mandat d’arrêt européen contre H. Iquioussen : une procédure aux chances de succès incertaines
Par Thomas Herran – Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles /Institut de Sciences Criminelles et de la Justice – Université de Bordeaux – Co-responsable du Master droit pénal européen et international – Directeur des études de la préparation aux concours de la Police nationale – IEJ
Hassan Iquioussen, imam et conférencier, est visé par un arrêté d’expulsion en raison de discours antisémites et misogynes depuis le 29 juillet 2022. Il a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris pour contester l’expulsion. Début août, le juge parisien rendait une ordonnance de suspension de la mesure d’extradition. Frappée de recours par le ministère de l’intérieur, le Conseil d’Etat annulait le 30 août 2022 l’ordonnance du tribunal administratif de Paris et rejetait la demande de suspension de l’arrêté aux motifs que la décision de retrait du titre de séjour et d’expulsion vers le Royaume du Maroc ne portait atteinte ni aux libertés d’expression et de religion, ni au droit au respect de sa vie privée et familiale, ni l’exposait à un traitement inhumain et dégradant. L’arrêté d’expulsion devenait alors exécutoire. Mais la fuite de Hassan Iquioussen en Belgique n’a pas permis son expulsion. Depuis le 2 septembre 2022, celui-ci est visé par un mandat d’arrêt européen.
Qu’est-ce que le mandat d’arrêt européen ?
Le mandat d’arrêt européen est un mécanisme de coopération judiciaire applicable entre les Etats membres de l’Union européenne, créé par une décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres. Comme l’extradition, cette procédure permet aux autorités judiciaires d’un Etat de demander à leurs homologues étrangers la remise d’une personne afin qu’elle soit jugée pour la commission d’une infraction ou qu’elle exécute une peine à laquelle elle a déjà été condamnée pour la commission d’une infraction. En droit français, c’est le ministère public qui est compétent pour émettre un mandat d’arrêt européen, sur la base d’un mandat d’arrêt national délivré par un juge français. Dans l’affaire de l’expulsion de l’iman Hassan Iquioussen, un mandat d’arrêt européen a été transmis aux autorités belges, sur le fondement d’un mandat d’arrêt délivré par le juge d’instruction de Valenciennes.
Pour quelle raison un mandat d’arrêt européen a été émis contre Hassan Iquioussen ?
Pour émettre un mandat d’arrêt européen, il faut que la personne visée ait commis une infraction. Dans cette affaire, ce mandat n’est pas justifié par la volonté d’obtenir sa remise afin de procéder à l’expulsion de l’iman. En effet, la décision d’expulsion n’est pas une condamnation pénale mais une décision administrative ; son exécution ne peut alors pas justifier l’émission d’un mandat d’arrêt européen. La demande de remise n’est pas davantage motivée par d’éventuelles infractions que pourraient constituer les propos de l’imam. L’émission du mandat d’arrêt européen est fondée sur des poursuites en France contre l’imam du chef de soustraction à l’exécution d’une décision d’éloignement. Cette infraction, incriminée à l’article L 824-10 du Code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile, est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement.
Or, une telle décision est fortement critiquée par des avocats, dont le conseil de Hassan Iquioussen, ainsi que par des universitaires qui contestent la qualification retenue considérant que le mis en cause ne peut se voir reprocher la soustraction à la décision d’expulsion puisqu’il a spontanément quitté le territoire français et donc exécuté de lui-même l’arrêté préfectoral (v. par exemple S. Slama, L’affaire de l’expulsion de l’imam Iquioussen : un révélateur des injonctions contradictoires des autorités à l’égard du droit des étrangers, Blog du Club des juristes). Cette infraction peut être retenue exclusivement pour les étrangers qui resteraient sur le territoire français et refuseraient de le quitter.
Est-ce que les autorités belges vont exécuter le mandat d’arrêt européen et remettre Hassan Iquioussen aux autorités françaises ?
Il est difficile d’évaluer avec certitude les chances de succès de ce mandat d’arrêt européen. Le fait que l’infraction pour laquelle Hassan Iquioussen est poursuivie en France ne soit pas réalisée en l’espèce ne peut pas être utilement invoquée devant la juridiction belge car cette dernière n’est pas compétente pour vérifier la qualification retenue par la France et l’application de l’infraction aux faits. La confiance mutuelle, qui constitue le fondement du mandat d’arrêt européen, empêche les juridictions de l’Etat d’exécution de contrôler la qualification retenue par l’Etat d’émission.
Toutefois, il est permis de nourrir quelques doutes sur l’exécution par les autorités belges du mandat d’arrêt européen sur un point particulier. Les textes prévoient que l’exécution du mandat d’arrêt européen peut être refusée si les faits reprochés au mis en cause ne sont pas incriminés dans la législation de l’Etat d’émission et de l’Etat d’exécution (art. 2 de la décision-cadre du 13 juin 2002). Or, si le droit belge incrimine, à l’article 75 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, le fait pour un étranger d’entrer ou de séjourner illégalement – situation pouvant résulter de l’existence d’une mesure d’éloignement – dans le Royaume, il ne semble pas réprimer en tant que tel le fait de ne pas respecter une décision d’expulsion. En d’autres termes, l’infraction reprochée en France à Hassan Iquioussen ne serait pas exactement la même que celle incriminée en Belgique. Aussi, les juridictions belges pourraient considérer que la condition de la double incrimination n’est pas respectée sur le fondement de l’article 5 de la loi belge du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen.
En revanche, le fait que les peines prévues par le droit belge soient bien moins sévères – une peine d’emprisonnement de 8 jours à trois mois et une peine d’amende d’un montant de 26 euros à 200 euros – n’est pas de nature à faire obstacle à la remise. En effet, s’il est vrai que la décision-cadre instaurant le mandat d’arrêt européen prévoit que la remise peut être refusée pour les infractions punies d’une peine inférieure à un an d’emprisonnement, elle précise que cette condition s’apprécie au regard du droit de l’Etat d’émission du mandat d’arrêt européen, la France en l’occurrence (article 2§1 de la décision-cadre du 13 juin 2002).