L’omission reprochée à Madame Pannier-Runacher : une émotion populaire pour des faits que la loi ne prohibe pas
Par Jacques-Henri Robert – Professeur émérite – ancien directeur de l’Institut de criminologie de Paris – Expert du Club des Juristes
Avant que Mme Pannier-Runacher ne prenne ses fonctions de ministre de la transition énergétique, ses enfants avaient reçu à titre gratuit des actions d’une société pétrolière franco-britannique dénommée Perenco. Le donateur était le père de la future ministre, mais aussi l’ancien administrateur de cette société. Mme Pannier-Runacher n’a pas fait figurer cette donation dans la déclaration de patrimoine et d’intérêts que tout nouveau ministre doit adresser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV), en exécution de l’article 4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Des journalistes ont découvert cette omission, les députés de l’opposition ont interpellé le gouvernement et l’association Greenpeace a demandé la démission de l’intéressée.
Madame Pannier-Runacher a-t-elle commis une infraction en omettant de déclarer la donation faite par son père à ses enfants ?
Non, la ministre n’avait pas l’obligation légale de procéder à cette déclaration. Cependant, la HATPV a publié un communiqué dans lequel elle affirme que « l’absence d’obligation déclarative ne dispense pas le responsable public de veiller à prévenir et faire cesser les situations de conflits d’intérêts qui naîtraient d’autres intérêts indirects détenus, tels que l’activité des enfants ou d’autres membres de la famille » et elle a décidé d’ouvrir une enquête. Cet énoncé contient une absolution en ce qui concerne le caractère incomplet de la déclaration de la ministre, mais aussi une menace qui vise implicitement le délit de prise illégale d’intérêts.
L’article 4 précité de la loi du 11 octobre 2013 décrit le contenu des obligations déclaratives auxquelles sont soumis les membres du gouvernement. Son § II énumère des biens, immobiliers et mobiliers (même les automobiles), corporels et incorporels qui composent le patrimoine du déclarant. Rien ne peut être reproché à Mme Pannier-Runacher sur la base de cette disposition puisque les biens litigieux sont entrés dans le patrimoine de ses enfants après avoir figuré dans celui de son père, et la loi n’oblige pas le ministre à dévoiler les richesses de ses proches, si du moins ils ne les possèdent pas en indivision.
Le § III du même article 4 énumère les « intérêts » que le ministre doit déclarer, distincts de son patrimoine stricto sensu. Son 7° désigne « les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ». Or, la ministre est administratrice des biens de ses enfants aussi longtemps qu’ils sont mineurs et si elle en a la garde (art. 382 C. civ.). la question qui se pose est donc de savoir si la fonction d’administratrice des biens de son enfant mineur constitue une « fonction bénévole susceptible de faire naître un conflit d’intérêts ».
A cet égard, l’annexe 3 du décret n° 2013-1212 du 23 décembre 2013, intitulée « Contenu de la déclaration d’intérêts » précise que, concernant ces fonctions bénévoles, la déclaration doit comporter (i) le nom et l’objet social de la structure ou de la personne morale dans laquelle les fonctions sont exercées et (ii) la description des activités et des responsabilités exercées.
Or les enfants mineurs ne constituent pas une « structure » ni une « personne morale » et il apparaît que le pouvoir exécutif a voulu désigner au titre des fonctions bénévoles celles qui sont exercées au bénéfice des institutions sans but lucratif aux desseins desquels le déclarant est moralement intéressé : si le ministre le ministre de l’industrie administre Greenpeace, cela ne lui est pas interdit, mais il doit le déclarer.
La HATPV interprète donc de manière appropriée le contenu des obligations déclaratives en affirmant que la ministre n’a pas violé la loi du 11 octobre 2013 et qu’elle ne peut être punie pour avoir : « [omis] de déposer l’une des déclarations prévues […], [omis] de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou [fourni] une évaluation mensongère de son patrimoine (art. 26, I de cette loi).».
Et pourrait-elle se voir reprocher une prise illégale d’intérêts ?
L’applicationéventuelle de l’incrimination de prise illégale d’intérêts mérite d’être considérée.
Après son absolution concernant l’obligation de déclaration, la HATPV brandit une menace sous laquelle on devine l’éventuelle application de l’article 432-12 du Code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction » (Voir Article sur notre Blog).
Ce texte a permis de condamner des personnes qui n’avaient, dans l’affaire litigieuse, qu’un intérêt moral de nature familiale, amicale ou politique. Le désir de faire prospérer le patrimoine de ses enfants est l’un de ceux-là.
Mais la démarche n’est illégale que si l’intérêt est pris dans « une entreprise ou une opération » particulière. Le détenteur d’une fonction publique peut, sans violer la loi pénale, administrer une collectivité ou une activité à l’égard de laquelle il est placé dans la même situation que tous les autres citoyens : le maire peut instituer un sens unique dans une rue de la commune qu’il habite, le ministre des transports peut prendre le train. Mais si le maire interdit toute circulation dans la rue de son domicile pour en assurer la tranquillité ou si le ministre impose la création d’une gare au milieu des champs et à proximité de sa maison de campagne, ils prennent un intérêt illicite dans une « opération » particulière.
Telle est la distinction qu’il faut appliquer au cas de Mme Pannier-Runacher. Certes, la gestion des affaires pétrolières entre dans ses attributions, puisqu’elle doit diminuer l’usage de ce produit dont la combustion nuit au climat. Mais cela ne suffit pas à rendre délictueuse la détention, par ses enfants, d’actions dans une société qui en fait commerce. La ministre ne risquerait la sanction pénale que si elle prenait une décision dont le bénéficiaire (ou même la victime) serait la société Perenco en particulier ou s’il était démontré que l’une de ses décisions, apparemment générale et impersonnelle, n’était inspirée que par le désir d’avantager cette personne morale.
Que risque Mme Pannier-Runacher d’un point de vue juridique et politique ?
Sauf si elle s’était livrée à l’imprudence qu’on vient de décrire, Mme Pannier-Runacher ne risque pas de condamnation pénale. L’agitation publique rend seulement inconfortable sa position politique.
Cela amène à s’interroger sur l’origine des informations révélées par journalistes et sur leur contenu. Les déclarations faites à la HATPV sont en effet secrètes, et leur substance ne doit pas être rendue publique, sauf les très maigres informations énumérées par l’article 5 de la loi du 11 octobre 2013. Hors ces cas, le fait de publier tout ou partie des déclarations ou des informations est puni d’un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende pour atteinte à la vie privée.
Il convient enfin de douter du caractère inédit et scandaleux des résultats de l’investigation journalistique : en consultant sur Wikipédia la biographie de Mme Pannier-Runacher, n’importe quel internaute apprend, sans chercher à imiter Hercule Poirot, que son père a administré la société Perenco. Cette information, qui est publique et que le gouvernement et la HATPV ne pouvaient ignorer, est bien plus intéressante et significative que la donation aux petits-enfants, modeste au regard de la probable fortune de la famille.
La Haute autorité simule l’indignation pour suivre l’émotion populaire.
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