Par Messaoud Saoudi, Maître de conférences HDR en droit public à l’Université Jean Moulin, Lyon 3

Cette requête devant le juge, codifiée aux articles L 77- 10-1 et suivants du Code de la justice administrative (CJA) a été précédée comme l’exige ladite loi par une mise en demeure adressée le 27 janvier 2021 au Premier ministre et aux ministères de l’intérieur et de la justice leur demandant d’initier une profonde réforme pour éradiquer les « pratiques policières de contrôle d’identité discriminatoires », pratiques reconnues par le Chef de l’Etat lui-même en décembre 2020. La finalité d’une telle procédure est « de cesser ou de faire cesser le manquement ou de réparer les préjudices subis » (Art. L 77-10-5 du CJA).

Suite à une mise en demeure restée sans suite dans le délai légal de 4 mois, les associations requérantes invitent le Conseil d’Etat à « reconnaître que l’État a manqué à ses obligations en laissant se développer cette pratique des contrôles au faciès » et que « ces contrôles illégaux disparaissent » selon l’avocat de la partie requérante. On rappelle que les contrôles d’identité sont régis par l’Art. 78-2 du Code de procédure pénale (CPP) en distinguant le contrôle d’identité de droit commun, du contrôle sur réquisition du Procureur, du contrôle administratif d’identité, du contrôle d’extranéité et du contrôle frontalier. On voit le choix du cadre juridique offert à la force publique.

Strict respect des principes et des règles

Le Conseil constitutionnel a dans sa décision n°93-323 du 5 août 1993 émis une réserve d’interprétation à l’adresse du juge en relevant que la force publique doit pouvoir « justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ». Dans sa décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, le même juge rappelle que les opérations policières de contrôle doivent se fonder « sur des critères excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes ».

Ajoutons que le juge judiciaire a eu l’occasion de préciser les conditions de régularité de ces contrôles. Le juge a dans ces deux arrêts condamné l’Etat pour faute lourde pour contrôles d’identité discriminatoires. L’arrêt de 2016 a le grand mérite d’avoir inversé la charge de la preuve : c’est à l’Etat d’établir soit l’absence de différence de traitement soit la justification d’un traitement sur la base d’éléments objectifs étrangers à toute forme de discrimination.

Mettre fin aux manquements

Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 11 octobre 2023, rappelle l’article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure (CSI) qui dispose « lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle ». Le juge conclut qu’il tient « pour suffisamment établie l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés ».

De tels faits constatés créent non seulement un dommage pour les personnes ciblées (qui peuvent donc demander réparation) mais aussi constituent, selon le juge, une méconnaissance de l’interdiction des pratiques discriminatoires au sens de l’article premier de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Toutefois, le Conseil d’Etat, devant se prononcer sur le manquement des pouvoirs publics qui est leur inaction à voir se généraliser de telles pratiques discriminatoires, s’estime incompétent car son office n’est pas de déterminer « les choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité ». Ce domaine relève selon lui des rapports entre la police, l’autorité judiciaire et la population appelant l’intervention du législateur seul compétent pour déterminer une politique publique de réforme profonde des contrôles d’identité.

L’office du juge se limite ici à reconnaître l’existence de contrôles d’identité discriminatoires non à se prononcer sur l’inaction de l’Etat; il rejette la requête car il ne relève pas de sa compétence de contraindre les pouvoirs publics à agir notamment à travers une réforme du CPP ou encore une remise obligatoire d’un récépissé de contrôle et l’établissement d’un procès-verbal (PV) circonstancié pour chaque contrôle indiquant en particulier le référentiel des identités et de l’organisation (RIO) pour identifier les membres de la force publique procédant aux opérations de contrôle.

Mais comment mettre fin aux pratiques discriminatoires constatées sans traçabilité des opérations de contrôle ? Une lueur d’espoir est venue de la décision prononcée le même jour par le Conseil d’Etat suite à une requête en annulation devant le refus de l’administration policière d’appliquer l’article R. 434-15 du CSI (identifiant individuel visible et lisible de tout agent de la force publique en cours d’opérations). Il semble que la reconnaissance des contrôles d’identité discriminatoires par le juge ne suffit pas, il faut désormais une connaissance de ces pratiques par leur traçabilité (remise d’un récépissé de contrôle aux personnes contrôlées et identité affichée des agents chargés de ces opérations) afin d’éviter tout arbitraire et nourrir ainsi la confiance entre la population et sa police.