Attentat de la basilique de Nice : la perpétuité incompressible, peine infinie
Du 10 au 26 février 2025 s’est tenu devant la Cour d’assises spéciale de Paris le procès de Brahim Aouissaoui jugé pour assassinats et tentatives d’assassinats en lien avec une entreprise terroriste, pour l'attentat de la basilique de Nice en 2020. À l’issue du procès, la Cour a rendu son verdict : l’accusé a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, décision dont il a fait appel lundi dernier pour éviter ce que son avocat a appelé une « peine de mort sociale ». Décryptage.
Par Anne Ponseille, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Montpellier
Qu’est-ce que la peine de réclusion criminelle à perpétuité incompressible ?
Elle combine une peine, la peine de réclusion criminelle à perpétuité, et une modalité d’exécution de la peine privative de liberté qui est la période de sureté.
Lorsqu’elles sont prononcées par des juridictions pénales, les peines privatives de liberté (peine d’emprisonnement et de réclusion criminelle) peuvent être assorties, selon les modalités et conditions prévues par la loi, d’une période de sûreté, dispositif créé en 1978 (art. 132-23 du Code pénal).
La période de sûreté, qui peut être d’une durée plus ou moins longue, a pour effet d’assurer l’exécution de la peine pendant un temps déterminé par la loi ou par le juge : au cours de ce laps de temps, la personne condamnée ne pourra bénéficier d’aucune libération anticipée sous la forme d’un aménagement de peine tel que la libération conditionnelle par exemple (pour une liste des aménagements de peines exclus, voir art. 720-2 al. 1er du Code de procédure pénale).
La peine de réclusion criminelle à perpétuité est la peine privative de liberté la plus haute dans l’échelle de ce type de peine, puisque les autres peines de même nature sont des peines dites « à temps » d’une durée de 15, 20 ou 30 ans maximum. Lorsqu’une personne est condamnée à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, elle peut solliciter une libération conditionnelle dès lors qu’elle a accompli au moins 18 ans ou 22 ans si elle a été condamnée en état de récidive (art. 729 du Code de procédure pénale). Cependant, pour quelques crimes – assassinat commis contre certains personnes (art. 221-3 du Code pénal), meurtres aggravés (221-4 du Code pénal) et plusieurs crimes terroristes (art. 421-7 du Code pénal) – pour lesquels la peine de réclusion criminelle à perpétuité est encourue, la cour d’assises peut prévoir, sur décision spéciale prise à la majorité des votes, que la personne condamnée à cette peine ne pourra bénéficier d’aucun aménagement de peine : c’est ce que l’on nomme « peine incompressible » ou « perpétuité réelle » (dénominations qui ne figurent d’ailleurs pas dans le Code pénal) qui vise l’hypothèse de la peine de réclusion criminelle à perpétuité entièrement couverte par la période de sûreté.
Il s’agit de la peine la plus sévère de l’arsenal répressif français qui a été créée en 1994 (loi n° 94-89 du 1er février 1994) pour remplacer la peine de mort abrogée en 1981.
La personne condamnée à une telle peine est-elle néanmoins libérable ?
Si l’objet même de la peine incompressible est d’empêcher une libération de la personne incarcérée, celle-ci peut toutefois solliciter, après avoir exécuté 30 années de sa peine, un relèvement de la période de sûreté qui n’entraîne toutefois pas ipso facto sa libération.
Cette procédure de relèvement (art. 720-4 al. 3ème du Code de procédure pénale), qui permet de mettre un terme à la période de sûreté, assure la conformité de la peine incompressible au principe constitutionnellement garanti de nécessité des peines (Cons. const. n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, JO du 26 janv. 1994, p. 1380) et à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prohibe les actes inhumains et dégradants dans la mesure où elle laisse subsister « une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen » de la situation pénale du condamné (CEDH, 13 novembre 2014, req. n° 40014/10, Bodein c/ France). Si la personne condamnée manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale, le relèvement peut être accordé par le tribunal de l’application des peines qui doit statuer dans le même temps sur l’octroi d’un aménagement de peines. Cette décision ne pourra être prise qu’après une expertise confiée à un collège de trois experts médicaux qui se prononce sur l’état de dangerosité du requérant. Si une mesure d’aménagement est octroyée, le tribunal précité pourra décider de mesures d’assistance et de contrôle sans limitation dans le temps.
Y a-t-il des particularités attachées à la « peine incompressible » décidée en matière de terrorisme ?
Plusieurs particularités définissent le régime de la « perpétuité réelle » prononcée à l’encontre d’un terroriste.
D’abord, il convient de préciser que la peine incompressible en matière de terrorisme n’existe que depuis une loi du 3 juin 2016. Les dispositions de l’article 421-7 du Code pénal qui la prévoit sont des dispositions nouvelles plus sévères : cette peine ne peut dès lors être prononcée en matière de terrorisme que pour des faits commis postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi. Les faits pour lesquels Brahim Aouissaoui a été récemment condamné ont été commis le 29 octobre 2020 et il encourait donc cette peine qui existait au moment des faits et à laquelle il a d’ailleurs été condamné. Si Salah Abdeslam, un des auteurs des attentats du 13 novembre 2015, a été condamné en juin 2022 à une telle peine, ce n’est pas en raison de sa participation aux actes meurtriers commis au Bataclan puisque cette peine n’existait pas au moment des faits. Cette peine a été prononcée à son encontre en répression de la tentative de meurtre sur des représentants des forces de l’ordre, infraction pour laquelle cette peine était déjà encourue au moment des faits (art. 221-4 du Code pénal).
Ensuite, le prononcé d’un relèvement en ce domaine est soumis à des règles plus strictes. Il ne pourra intervenir qu’à titre exceptionnel, sur avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée d’évaluer s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises, et plusieurs conditions doivent être remplies de manière cumulative : outre le fait que le condamné doit avoir subi une incarcération d’au moins 30 années, manifesté des gages sérieux de réadaptation sociale et qu’un collège d’experts doit avoir procédé à une évaluation de la dangerosité du condamné, il faut également que soit recueilli préalablement l’avis des victimes ayant eu la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation et que la réduction de la période de sûreté ne soit pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public. Autant de conditions qui limitent la possibilité d’obtention d’un relèvement.
Enfin, l’octroi d’un tel relèvement ne préjuge pas de celui d’un aménagement de peine, étant précisé que d’une manière générale, le législateur a fortement limité les possibilités d’aménagement des peines privatives de liberté exécutées par des personnes condamnées pour des faits de terrorisme (Évelyne Bonis-Garçon, « À propos de l’article 8 de la loi n° 2016- 987 du 21 juillet 2016 : vers la création d’un droit spécial des aménagements de peine pour les condamnés pour terrorisme », Revue Droit pénal n° 12, Décembre 2016, étude 26).