Par Haritini Matsopoulou – Professeure de droit privé à l’Université Paris-Saclay, Expert du Club des juristes
La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a prévu la création d’un pôle national spécialisé pour connaître des crimes sériels ou non élucidés. En application de cette loi, le décret n° 2022-67 du 20 janvier 2022, entre en vigueur aujourd’hui, le 1er mars 2022, et désigne le tribunal judiciaire de Nanterre comme pôle spécialisé en charge de ces procédures. Cette juridiction aura une compétence sur l’ensemble du territoire national, concurrente à celle des juridictions territorialement compétentes selon les règles de droit commun. Afin d’assurer l’efficacité de ce dispositif, il conviendra toutefois d’avoir recours à d’autres mesures complémentaires destinées à préserver les preuves, telles que celles tendant à assurer la bonne conservation des scellés.

 Quelles sont les raisons ayant justifié la création de ce nouveau pôle ?

 Cette création s’inscrit dans la continuité d’un important mouvement législatif tendant à multiplier les règles procédurales dérogatoires spécifiques à telle ou telle catégorie d’infractions et à instituer des juridictions spécialisées dans les domaines respectifs. Il faut bien reconnaître que, face à certaines formes de criminalité particulièrement graves, le législateur met en œuvre des instruments procéduraux ayant pour objectif de renforcer l’efficacité de la lutte contre de tels phénomènes, comme c’est le cas en matière de terrorisme ou de criminalité organisée. On pourra faire observer que, pour valider ou censurer des lois, qui instituent des régimes dérogatoires apportant des restrictions à des droits constitutionnellement garantis, le Conseil constitutionnel ne tient pas uniquement compte du critère tiré de la « gravité » des infractions concernées mais également celui de la « complexité » des affaires.

Ces précisions données, l’étude d’impact, jointe au projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, avait souligné que le Code de procédure pénale ne prévoyait « aucune compétence territoriale dérogatoire en ce qui concerne les crimes “sériels” commis par un même auteur, dans des temps et des lieux différents, sur différentes victimes, qui présentent pourtant une complexité évidente ». En particulier, on a fait valoir que ces dossiers sensibles, « qui s’inscrivent sur le temps long, se prêtent mal à la vie des juridictions classiques, marquée par des changements d’affectation et la charge des cabinets d’instruction, et dont les compétences territoriales restreintes compliquent l’identification d’un auteur unique de faits multiples ».

Ainsi, prenant en considération une préconisation formulée par le groupe de travail chargé de proposer des mesures tendant à améliorer la prise en charge des affaires non résolues (« cold cases »), le législateur a souhaité que ces affaires bénéficient « d’une centralisation des procédures, d’une spécialisation des magistrats et des greffiers ainsi que d’un rythme d’investigation adapté offrant l’opportunité de déceler des correspondances entre des crimes que rien ne lie de prime abord … » (v. Rapport fait par M. S. Mazars, Ass. nat., nos 4146 et 4147, 7 mai 2021, p. 145).

Selon les déclarations du garde des Sceaux, ce pôle sera composé de « trois juges d’instruction, un procureur adjoint, trois greffiers et deux juristes assistants ». Il a, par ailleurs, été précisé que 241 affaires sont concernées par cette nouvelle procédure.

Le nouveau dispositif pourrait donc assurer à la fois une réponse pénale plus efficace aux crimes sériels, par l’affectation de personnels spécialement dédiés au traitement de cette catégorie d’affaires, et une meilleure prise en charge des victimes et de leurs familles.

Quelles sont les règles d’organisation et de fonctionnement de ce nouveau pôle ?  

L’article 8 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a introduit dans le Code de procédure pénale un nouveau titre XXV bis, composé des articles 706-106-1 à 706-106-5, relatif à « la procédure applicable aux crimes sériels ou non élucidés ». Ainsi, le nouvel article 706-106-1 du Code de procédure pénale prévoit la compétence concurrente d’un ou plusieurs tribunaux judiciaires désignés par décret à celle résultant de l’application des règles de droit commun relatives à la compétence territoriale pour les crimes énumérés par ce texte et tous les délits qui leur sont connexes, si les investigations les concernant présentent une particulière complexité. En particulier, il s’agit des atteintes volontaires à la vie, des actes de torture et de barbarie, du viol, de l’enlèvement et de la séquestration. Deux conditions alternatives permettent l’exercice de cette compétence : les crimes doivent avoir été commis ou être susceptibles d’avoir été commis de manière répétée à des dates différentes par une même personne à l’encontre de différentes victimes ; leur auteur n’a pas pu être identifié plus de dix-huit mois après leur commission.

En application de ces dispositions, le décret n° 2022-67 du 20 janvier 2022, entré en vigueur aujourd’hui (1er mars 2022), a désigné le tribunal judiciaire de Nanterre comme pôle spécialisé pour connaître de ces procédures (C. proc. pén., art. D. 47-12-8). Cette juridiction a une compétence sur l’ensemble du territoire national, qui est concurrente à celle des juridictions locales, pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes concernés. Il est, en outre, précisé que ces derniers seront jugés par la cour d’assises des Hauts-de-Seine.

Dans l’hypothèse envisagée, le procureur de la République peut, d’office, sur proposition du juge d’instruction ou à la requête des parties, requérir le dessaisissement du juge d’instruction initialement saisi au profit de la juridiction d’instruction spécialisée (C. proc. pén., art. 706-106-3). Si elles ne sont pas à l’origine de la demande, les parties sont avisées de ces réquisitions et sont invitées par le magistrat instructeur à faire connaître leurs observations.

Le procureur de la République a la possibilité d’ordonner une enquête ou de saisir le juge d’instruction d’une information ayant pour objet de retracer l’éventuel parcours criminel d’une personne condamnée pour l’un des crimes visés par l’article 706-106-1 du Code de procédure pénale ou pour laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre de tels faits (C. proc. pén., art. 706-106-4). Dans cette hypothèse, les investigations se dérouleront, selon les cas, dans les formes de l’enquête préliminaire ou de l’instruction (C. proc. pén., art. D. 47-12-9, introduit par l’article 2 du décret n° 2022-67 du 20 janvier 2022).

Afin d’assurer l’efficacité de ce nouveau dispositif, serait-il utile de recourir à d’autres mesures complémentaires, telles que celles tendant à assurer la conservation des scellés ?

Des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la police technique et scientifique, contribuant à la conservation de preuves cruciales, telles que les empreintes génétiques ou les traces papillaires. Cet élément a d’ailleurs été pris en considération lors de l’adoption de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 ayant allongé sensiblement les délais de prescription de l’action publique. Certes, la bonne conservation des scellés peut se révéler utile, puisqu’elle permet de préserver des éléments de preuve longtemps après la commission des faits.

On pourra faire observer que la loi du 22 décembre 2021 a modifié l’article 706-54 du Code de procédure pénale, afin de prévoir que les empreintes génétiques des victimes d’un crime mentionné à l’article 706-106-1 du même code, ou, avec leur accord, des membres de leurs familles, pourront être inscrites au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), afin qu’elles y soient conservées aux fins de comparaisons ultérieures, notamment dans l’hypothèse de crimes sériels. En particulier, le texte précise que lorsque l’empreinte génétique de la victime n’a pas pu être recueillie ou qu’il est nécessaire de confirmer son identification, les empreintes génétiques des ascendants, descendants et collatéraux de ces victimes pourront, avec leur consentement éclairé, exprès et écrit, être inscrites au FNAEG, sous réserve de leur possibilité de demander à tout moment au procureur de la République d’effacer leur empreinte de ce fichier. Le législateur a donc prévu ici une mesure complémentaire pouvant faciliter, comme d’autres, les investigations portant sur des crimes sériels ou non élucidés.

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