Par Noëlle Lenoir, avocate à la Cour

Pour la sécurité juridique des entreprises et la défense de nos intérêts économiques

La réforme proposée prévoit d’exclure de procédures judiciaires ou administratives la communication des consultations juridiques des juristes d’entreprise. Le but est de mettre la France à égalité avec l’étranger, en particulier les pays de Common Law et la plupart des autres Etats-membres de l’UE. Ceux-ci font bénéficier les juristes d’entreprise de la confidentialité de leurs avis juridiques de sorte que si l’entreprise et/ou ses dirigeants sont poursuivis, ces avis ne sont ni saisis, ni remis à des tiers.

Le droit a pris une telle place dans la vie de l’entreprise, avec le surcroît de règlementations et la judiciarisation de la vie des affaires, que ces avis portent sur des sujets de plus en plus divers et inédits. Les exigences de conformité en matière d’anticorruption, de protection des données et de responsabilité sociale d’entreprise (social, environnement, droits humains), en particulier, rendent l’interprétation du droit si aléatoire que les juristes in house sont appelés à conseiller une voie à suivre qu’ultérieurement un juge peut estimer enfreindre la loi. Ces consultations versées à la procédure peuvent incriminer l’entreprise et/ou ses responsables en l’absence de toute intention de non-conformité.

Vis-à-vis de l’étranger, la confidentialité des avis juridiques des juristes d’entreprise est majeure. Dans le cadre d’investigations d’autorités étrangères ou de litiges transnationaux, les juristes des entreprises étrangères bénéficient de la confidentialité de leurs avis juridiques, mais en France, ils doivent communiquer toute la production de leur travail d’assistance juridique. C’est une rupture de l’égalité entre les armes.

Dans les pays de Common Law, le legal privilege existe depuis le 16ème siècle (Berd v. Lovelace (1577) Cary 62, 21 E.R. 33; Dennis v. Codrington (1580) Cary 100, 21 E.R. 53). Ce droit fondamental garantit à celui qui sollicite un avis juridique le niveau d’intégrité et de qualité requis, à savoir qu’il n’a pas été influencé par la crainte de son auteur qu’il soit révélé et utilisé de façon préjudiciable (House of Lords, 16 mai 2022, Special Commissioner and another / Ex Parte Morgan Grenfell & Co Ltd). Le privilège légal couvre les communications avocats/clients et entre avocats ainsi que les productions juridiques des juristes d’entreprise. Les Etats-Unis ont conservé le système et l’immense majorité des Etats européens ont suivi récemment.

Il ne s’agit pas de créer en France un nouveau type de secret professionnel faisant rentrer les juristes d’entreprise dans la profession règlementée « d’avocats d’entreprise ». La formule, suggérée dans des rapports au gouvernement, est abandonnée car elle n’avait pas de sens. La confidentialité est attachée, non à la personne du juriste, mais aux documents qu’il produits. Les éléments de fait sur lesquels s’appuie la consultation ne sont pas protégés et rien n’est donc retiré du champ des enquêtes des autorités publiques comme celles opposées à la réforme ont pu le faire accroire.

Dans un arrêt Whirlpool de 2022 (Cass. crim., 26 janv. 2022, n° 17-87.359), la Cour de cassation a confirmé l’annulation de la saisie de courriels de juristes d’entreprise se bornant à reprendre la stratégie de défense d’avocats. Désormais, après avoir consulté des avocats, un juriste d’entreprise pourra choisir d’émettre son avis auprès de son employeur sans que le document perde sa protection.

Le système français comportera une différence de taille avec le privilège légal : la confidentialité des consultations juridiques des juristes in house ne s’appliquera ni aux procédures pénales, ni aux enquêtes de l’administration fiscale. En matière pénale, cette « exception française » est unique.

La confidentialité des avis juridiques internes et leur contestation

Les propositions de loi fixent des conditions sur le niveau de diplôme et la formation déontologique du juriste d’entreprise, la destination de ses consultations aux organes de direction, d’administration et de surveillance de l’entreprise y inclus ses filiales contrôlées et le fait que le document devra porter la mention « confidentiel-consultation juridique-juriste d’entreprise ».

Cette formalisation exigera des services juridiques d’entreprise de déterminer les régimes de confidentialité applicables aux documents internes : secret des affaires, protection des données personnelles, « informations-souveraines » au sens de la loi Preuves modifiée n°68-678 du 26 juillet 1968 et « consultations juridiques » internes.

Cette confidentialité pourra être contestée : en 1ère instance devant le juge civil ou commercial, ou s’agissant des procédures administratives devant le juge des libertés et de la détention ; en appel devant la Cour d’appel de Paris.

En conclusion, un débat vain sur les prétendus obstacles du droit de l’Union.

Les détracteurs de la réforme brandissent la jurisprudence de la CJUE suivant laquelle les juristes in house salariés sont dans une situation de subordination ( CJUE, Aff. jointes T-125/03 et T-253/03, Akzo Nobel Chemicals et autres c/ Commission, 2007 ; CJUE, C-550/07, Akzo Nobel Chemicals et autres c/ Commission, 2010). Or, d’abord, la condition de salariat n’écarte pas l’indépendance (ex. directeur de la conformité et délégué à la protection des données). Ensuite, la jurisprudence de l’Union s’applique aux procédures européennes. Dotés de l’autonomie procédurale, les Etats-membres définissent les garanties propres à sauvegarder les intérêts des justiciables au respect des droits substantiels reconnus par le droit de l’Union, comme le droit de ne pas s’auto-incriminer en lien avec le droit national de la preuve.