Génocide au Rwanda : un procès pour négationnisme à Paris
Du 7 au 11 octobre s’est tenu devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris le procès de Charles Onana, politologue et essayiste, poursuivi sur le fondement de la contestation de crime contre l’humanité à raison de plusieurs extraits d’un ouvrage et traitant du génocide rwandais survenu en 1994. Cette affaire, mise en délibéré jusqu’en décembre, est l’occasion de revenir sur ce qu’est cette infraction très originale.

Par Jérôme Bossan, Maître de conférences HDR à l’Université de Poitiers
Qu’est-ce que le délit de négationnisme ?
Le délit de négationnisme appelé aussi parfois maladroitement contestation de crime contre l’humanité – cette appellation ne paraît plus conforme au regard des évolutions du texte – est une infraction prévue par l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, introduite par la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990. Le négationnisme est ainsi un abus de la liberté d’expression et de communication réprimé, le Conseil constitutionnel ayant pu admettre la conformité de l’infraction au regard des libertés et droits fondamentaux protégés par la Constitution (Cons. const. 8 janvier 2016, n° 2015-512 QPC). Or, le texte avait pour objectif, à l’origine, de lutter contre les propos niant l’existence des crimes contre l’humanité commis par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Une loi du 27 janvier 2017 est venue étendre le périmètre de l’infraction aux faits de crimes contre l’humanité, de génocide, de réduction en esclavage et de crime de guerre tels que définis soit par le Code pénal, soit par le statut de la Cour pénale international. La présente affaire, quelle que soit son issue, montre que le négationnisme ne doit plus être exclusivement pensé en lien avec les camps de concentration, mais peut viser d’autres faits relevant de l’histoire récente. Un premier procès pour lequel les poursuites étaient fondées sur le négationnisme du génocide rwandais avait d’ailleurs conduit à la relaxe d’une éditorialiste.
A quelles conditions un propos peut-il relever de cette infraction ?
Deux conditions sont ici essentielles pour que soit qualifié le délit de négationnisme. Il faut, de manière préalable, qu’une juridiction française ou internationale ait eu l’occasion de reconnaître que les faits en cause relèvent bien de l’une des qualifications précitées. Cette condition manifeste bien qu’il ne s’agit pas ici de réprimer une opinion, mais bien la négation d’un fait juridiquement reconnu. Tel est le cas pour le génocide rwandais, le tribunal pénal international pour le Rwanda ayant eu l’occasion d’admettre l’existence d’un crime de génocide. Il en est de même pour les crimes contre l’humanité commis en ex-Yougoslavie et d’autres crimes jugés par la Cour pénale internationale. Le Conseil constitutionnel s’est montré très attaché à cette condition (Cons. const. 26 janvier 2017, n° 2016-745 DC), refusant que le délit soit étendu aux crimes lorsque ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’une reconnaissance par des juges nationaux ou internationaux. Cette condition a finalement conduit à distinguer très nettement les faits pour lesquels une juridiction a été amenée à se prononcer et qui relèvent de cette loi, de ceux qui n’ont jamais fait l’objet d’une telle reconnaissance et qui ne bénéficient pas d’une protection pénale, mais qui peuvent, dans certains cas, relever de la responsabilité civile.
Il faut encore que l’auteur du propos ait publiquement nié l’existence du crime en question. Cette exigence de publicité conduit à écarter la tenue d’un tel propos dans la sphère privée. En outre, la jurisprudence puis la loi en 2017 ont eu l’occasion de préciser en quoi pouvait constituer cette contestation. Il ne s’agit pas uniquement d’une négation pure et simple. Relèvent de l’art. 24 bis des propos procédant par voie d’insinuation et tendant à minorer ou encore à banaliser de manière outrancière l’existence de ces crimes. Jusqu’à aujourd’hui, cette qualification avait été le plus souvent utilisée pour lutter contre des discours de haine qui remettaient en cause l’existence de la Shoah, exprimant souvent de manière insidieuse une pensée antisémite. L’extension du délit peut désormais conduire à envisager d’autres formes de haine cachées derrière la remise en cause des crimes évoqués.
Ce délit bride-t-il la recherche scientifique ?
La crainte de voir ce délit limiter le travail des scientifiques, notamment des historiens, est depuis l’origine en débat. Des scientifiques ont pu livrer des appréciations très différentes, voyant dans l’infraction tantôt une consécration, tantôt une cristallisation voire une confiscation de l’histoire (René Rémond), certains manifestant leur crainte d’être mis en cause sur ce fondement. Or, ce délit n’a pas vocation à s’appliquer aux chercheurs qui étudient légitimement l’un des crimes visés par l’article avec la méthodologie scientifiquement éprouvée qui s’impose. Le travail de l’historien, notamment, est de redécouvrir les faits, de les préciser en utilisant un matériel nouveau ou un angle original dans le respect d’une démarche rigoureuse et éthique. Bien différente est l’hypothèse du « faussaire de l’histoire » pour reprendre les mots de Robert Badinter qui, sous couvert de cette approche, conteste ces crimes en recourant à une méthode pseudo-scientifique, mettant en œuvre une idéologie ou se livrant à une analyse dépourvue d’objectivité et instrumentalisée.
Il revient à la 17e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris de savoir si le délit de négationnisme est bien constitué dans l’affaire qui lui est soumise.