Par Pierre Egéa, Professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole et Avocat à la Cour

La Cour de Justice de la République a relaxé Éric Dupond-Moretti ce mercredi 29 novembre.   La condamnation du ministre en exercice aurait-elle nécessairement conduit à sa démission ?           

Existe-t-il une règle juridique qui aurait imposé la démission d’un ministre condamné pénalement ?

La Première ministre Elisabeth Borne a évoqué « la règle claire, qui existe et qui s’est appliquée y compris dans le précédent quinquennat », celle de la démission du ministre.      Or, en dépit de ce qui pourrait apparaître comme une évidence, aucune règle juridique « claire » n’impose la démission d’un ministre en exercice à la suite de sa condamnation pénale. Il existe de nombreuses règles relatives aux incompatibilités, en particulier entre les fonctions gouvernementales et les mandats représentatifs ou les fonctions publiques ou privées (article 23 de la Constitution), mais elles ne couvrent évidemment pas cette hypothèse. Quant à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, sa finalité est de prévenir les conflits d’intérêts et non de prévoir les conséquences d’une condamnation pénale. Certes, son article 1er précise que « les membres du Gouvernement (…) exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité » mais cette disposition très générale ne permet pas de fonder une solution ferme. En définitive, seule une peine complémentaire d’interdiction d’exercer serait de nature à contraindre l’intéressé à démissionner, mais on chercherait en vain dans le catalogue étoffé desdites peines une interdiction d’exercer une fonction ministérielle. La raison en est, qu’en tant que tel, un ministre n’exerce pas une profession, ni un mandat et qu’il échappe en conséquence au couperet des peines complémentaires prévues par le code pénal et le code électoral. L’absence de statut des membres du gouvernement interdit précisément de fixer une règle juridique « claire ». La condamnation pénale d’un ministre n’oblige donc ni le principal intéressé, ni le gouvernement.

Quels auraient pu être les arguments du gouvernement pour justifier le maintien d’un ministre condamné pénalement ?

Les arguments permettant à un ministre de se maintenir (et d’être maintenu) en dépit d’une condamnation pénale ne manquent pas. Si l’on s’en tient au cas d’espèce, le premier argument est procédural. Jugé en premier et dernier ressort par une juridiction spéciale, Éric Dupont-Moretti aurait disposé, s’il avait été condamné, de la possibilité de se pourvoir en cassation avec pour effet d’interrompre l’exécution de la décision attaquée. Compte tenu de la composition de la Cour de justice de la République (CJR) qui fait peser, à tort ou à raison un doute sur l’impartialité de ses membres, la saisine de la Cour de cassation serait apparue comme un retour bienvenu à la normalité juridique. Le deuxième argument tient à la nature de l’infraction. A la différence d’autres cas notables, le garde des Sceaux n’a pas été jugé pour des faits d’escroquerie, de détournement de fonds publics ou d’abus de biens sociaux mais pour une prise illégale d’intérêt dans un contexte dépourvu de toute velléité d’enrichissement personnel ou de connotation économique. La portée morale attachée à l’éventuelle condamnation aurait été dès lors suffisamment tenue pour permettre à un chef de gouvernement de conserver sa confiance à son ministre. Le troisième argument, plus directement politique, tient à la différence des ordres. Comme l’a relevé le Président de la République, l’autorité judiciaire dont il est garant de l’indépendance (article 64 de la Constitution) est une Institution, non un Pouvoir. Sans doute veut-il dire par là que la justice ne peut interférer dans la vie politique. Or, la question de la démission d’un ministre relève d’une pure appréciation politique, indépendante de la décision juridictionnelle.

N’existe-t-il pas une règle non écrite de démission des ministres qui s’impose au Gouvernement ?

La pratique qui s’est imposée progressivement depuis 1972 d’abord pour les personnes condamnées (affaire Philippe Dechartre), puis à partir de 1993 pour les simples mises en examen (« jurisprudence » dite Balladur) constitue un usage qui a été assez largement suivi, mais pas suffisamment pour y voir une « convention de la Constitution », c’est-à-dire, une de ces règles non écrites de nature politique dont la sanction est purement politique. En effet, durant la présidence de Nicolas Sarkozy, André Santini et Brice Hortefeux échappèrent au couperet de la démission automatique au nom de la primauté de la légitimité politique. Dans le cas d’espèce, ni la mise en examen du garde des Sceaux, ni son renvoi devant la CJR n’ont entraîné sa démission dans la mesure où, ainsi que l’exposait le Premier ministre, les actes à l’origine de la procédure s’inscrivaient dans le cadre normal d’exercice de ses prérogatives ministérielles. On est donc loin d’une uniformité dans l’application d’une « règle » ou d’une « coutume ».      En somme, ce n’est pas la règle qui est « claire » mais bien la situation de fait.

Voici ce qu’a décidé la CJR