Par Jean-François Bohnert, procureur de la République financier et Antoine Jocteur-Monrozier, Vice-procureur financier

Pouvez-vous nous rappeler les conditions dans lesquelles le parquet national financier a été créé ?

Le parquet national financier (PNF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance financière et par la loi organique du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier. Son activité a débuté le 1er février 2014.

Cette création constituait une réponse institutionnelle à une double nécessité.

Au plan national, il répondait à l’affaire dite « Cahuzac » dans laquelle le ministre délégué en charge du budget avait été mis en cause pour les délits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.

Au plan international, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) avait réalisé une évaluation de la France en 2012 dans laquelle elle avait fortement invité les autorités françaises à intensifier leur action en matière de lutte contre la corruption d’agent public étranger.

Pour la première fois, était créé un parquet à compétence « nationale », ce qui signifie que le PNF peut diligenter des enquêtes sur l’ensemble du territoire français mais également à l’encontre de ressortissants français et personnes morales (entreprises) établis à l’étranger.

Il est compétent pour poursuivre quatre catégories d’infractions : les atteintes aux finances publiques ; les atteintes à la probité ; les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers; (il s’agit du seul champ pour lequel le PNF dispose d’une compétence exclusive) ; depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2020, le PNF a vu sa compétence étendue aux atteintes au libre jeu de la concurrence.

Quel bilan tirez-vous de ces dix années d’activité ?

En dix ans, le PNF a connu une activité particulièrement soutenue, avec 3234 procédures initiées.

770 affaires sont toujours en cours. Elles sont traitées par les 20 magistrats du PNF, qui peuvent également compter sur l’expertise technique de 9 assistants spécialisés et de deux juristes assistants ainsi que d’une équipe de greffe, dans une dynamique que je souhaite toujours collégiale.

Ces dix années d’activité ont conduit au prononcé de 532 condamnations par le tribunal correctionnel dans les procédures que nous suivons. Au total et à ce jour, 12,2 milliards d’euros ont également été prononcés en faveur du Trésor public, incluant les amendes, confiscations, dommages-intérêts pour l’Etat et redressements fiscaux connexes.

Au cours des dix années écoulées, le PNF a trouvé sa place institutionnelle. Il a noué des relations opérationnelles solides avec les administrations dotées de pouvoirs de contrôle : HATVP, AFA, TRACFIN, juridictions financières, AMF, Autorité de la concurrence,…

La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a également renforcé ses liens avec l’administration fiscale en permettant une communication élargie et en favorisant la transmission de plaintes et dénonciations à l’autorité judiciaire. Les procédures pénales et fiscales sont souvent conduites parallèlement, avec une véritable interaction opérationnelle, engendrant une efficacité démultipliée.

En matière boursière, notre articulation avec l’Autorité des marchés financiers est régie par le dispositif d’aiguillage, qui fonctionne particulièrement bien. Nous travaillons ensemble à lutter notamment contre les réseaux d’initiés, qui traduisent souvent une porosité entre la délinquance financière et la criminalité organisée.

En matière d’atteintes à la probité, nous avons obtenu plusieurs condamnations des chefs de corruption d’agent public étranger. Le PNF s’est également emparé de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).

Nous pouvons compter sur l’action de services d’enquêtes hautement spécialisés à l’image de l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l’Office national anti-fraude (ONAF). J’appelle à un renforcement des effectifs des services d’enquête spécialisés, qui sont nettement sous-dimensionnés pour traiter la masse du contentieux économique et financier.

Le PNF s’est, par ailleurs, imposé comme un interlocuteur incontournable auprès de ses partenaires étrangers dans la lutte contre la délinquance fiscale et la corruption internationale. A titre d’illustration, en dix ans, le PNF a émis près de 793 demandes d’entraide pénale et en a reçu 302.

Tant l’OCDE que la Cour des comptes ou le Parlement ont salué la création du parquet national financier comme ayant amélioré le traitement des contentieux qui lui sont confiés.

Dans l’ensemble, le bilan est donc très satisfaisant.

Quels sont les défis de la lutte contre la criminalité financière pour les prochaines années ?

Malgré les efforts permanents du PNF et de ses partenaires, de nombreux défis se présentent :

– le cadre procédural et législatif qui demeure perfectible, notamment l’encadrement dans le temps de l’enquête préliminaire qui demeure peu cohérent ou l’utilisation de la présomption de blanchiment qui fait perdre au PNF sa compétence matérielle ;

– la technicité des procédures et enquêtes et les défis qui l’accompagnent, tels que les perquisitions numériques, dont le régime reste à être pensé, ou l’analyse de données massives qui présente un enjeu technique considérable ;

– le déploiement de moyens humains et matériels supplémentaires pour le PNF comme pour les services enquêteurs.

Ces différents défis ont été abordés à l’occasion d’un séminaire célébrant les 10 ans du PNF les 14 et 15 octobre 2024, auquel étaient conviés de nombreuses autorités judiciaires, administratives et policières, mais également

des acteurs de la société civile ainsi que les nombreux partenaires étrangers du PNF (Department of Justice américain et Serious Fraud Office britannique, notamment), afin d’aborder les enjeux futurs de la lutte contre la criminalité financière.

Pour relever ces nombreux défis, les efforts du PNF se poursuivront dans les prochaines années dans le but de préserver le pacte républicain et renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.