Par Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas. Expert du Club des juristes.

Qu’est-ce qu’une cour d’assises spéciale ?

La cour d’assises spéciale devant laquelle comparaissent les accusés se distingue de la cour d’assises ordinaire en ce que les jurés populaires sont remplacés par quatre magistrats de carrière qui siègent aux côtés d’un président, tous désignés par le premier président de la Cour d’appel de Paris. Cette juridiction fut créée par la loi du 21 juillet 1982 pour remplacer les tribunaux permanents des forces armées et le législateur a profité de son existence pour résoudre un problème pratique que posait le jugement des crimes terroristes : les jurés des cours d’assises ordinaires saisies d’accusations de cette nature craignaient tellement pour leur vie qu’ils se faisaient excuser sous les prétextes les plus divers.  Pour remédier à cette paralysie de la justice, la loi du 9 septembre 1986, qui introduisait par ailleurs en droit français la catégorie des infractions de terrorisme, a réemployé la cour d’assises sans jury pour connaître des crimes de cette nature.

Le terrorisme n’est pas en soi une infraction autonome, mais une caractéristique d’infractions déjà prévues par la loi, comme le meurtre ou l’assassinat et plusieurs autres énumérées par l’article 421-1 du Code pénal : ce texte les qualifie de terroristes parce qu’elles sont commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Les motivations islamiques qui avaient poussé le meurtrier de Samuel Paty entrent dans cette définition et c’est pourquoi le Parquet National Antiterroriste (PNAT) a saisi le juge d’instruction spécialisé qui a lui-même renvoyé les accusés devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Quelles accusations pèsent sur les personnes renvoyées devant la cour d’assises spéciale ?

La qualification du crime commis contre Samuel Paty est l’assassinat, c’est-à-dire l’homicide volontaire commis avec préméditation, et il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité (art. 221-3 C. pén.). L’assassin supposé, Abdoullakh Anzorov, étant mort, les crimes reprochés aux accusés qui comparaissent devant la cour d’assises spéciales sont les suivants : pour deux d’entre eux, il s’agit de la complicité d’assassinat et pour les six autres, d’association de malfaiteurs terroriste.

Il est facile de comprendre l’accusation de complicité, définie par l’article 121-7 du Code pénal comme le fait de « la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». En l’espèce, l’un d’eux avait accompagné l’assassin lorsqu’il a acheté le couteau dont il se servit ; l’autre l’a conduit sur les lieux du crime. Ils encourent, comme l’auteur principal, la réclusion criminelle à perpétuité. Il ne sera pas nécessaire, et il sera même interdit aux juges, de déclarer coupable cet auteur principal, qui restera indéfiniment présumé innocent : mais ils devront constater les faits pour en imputer les conséquences aux complices.

L’association de malfaiteurs n’est pas une forme de complicité, mais une infraction autonome que la loi impute aux personnes qui ont favorisé un crime ou un délit d’une façon qui n’est pas assez directe pour mériter d’être appelée complicité. L’article 450-1 du Code pénal dispose en effet : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». L’association devient terroriste lorsque l’infraction préparée l’est (art. 421-2-1 C. pén.) et s’il s’agit d’un meurtre ou d’un assassinat la peine encourue est de 30 ans de réclusion criminelle (art. 421-6, 1° C. pén.) ; la personne qui dirige ou organise l’association est, elle, punie de la réclusion criminelle à perpétuité (art. 421-6, al. 5 C. pén.). Les avocats sont très hostiles à cette incrimination qui provoque la condamnation de personnes, certes suspectes et mal intentionnées, mais contre lesquelles le ministère public ne formule que de vagues griefs.

Dans le cas de l’assassinat de Samuel Paty, il est reproché aux accusés d’avoir créé un climat de haine autour de ce professeur, en multipliant les messages sur les réseaux sociaux et en diffusant de la propagande islamiste. C’est en particulier le cas du père de la lycéenne menteuse qui avait décrit la présentation d’images dégradantes de Mahomet pendant un cours auquel elle n’avait pas assisté. Une femme prénommée Priscilla, convertie à l’islam radical, est accusée « d’être entrée en contact avec le meurtrier et de l’avoir conforté dans son projet », mais le ministère public n’a pas retenu contre elle le grief de complicité. Il aurait fallu, pour cela, qu’elle ait proposé un don, fait des promesses, proféré des menaces ou des ordres ou encore abusé d’une autorité ou d’un pouvoir, selon les termes de l’article 121-7 al. 2 du Code pénal. On voit à cela que l’association de malfaiteurs est un mode de complicité dégradé.

Tous les accusés de ce crime encourent trente ans de réclusion criminelle.

Comment le procès va-t-il se dérouler ? 

Sauf les particularités tenant à la formation du jury populaire, le déroulement du procès devant la cour d’assises spéciale est identique à celui qui aurait lieu devant la cour d’assises ordinaire et comprend les actes suivants : exposé, par le président, des charges contenues dans l’ordonnance ou l’arrêt qui saisit la cour ; interrogatoire, par le même magistrat, des accusés ; audition des témoins ; plaidoirie des avocats des parties civiles ; réquisitions du ministère public ; plaidoiries des avocats des accusés. Après quoi, le président lit les questions auxquelles les membres composant la cour devront répondre, comme s’ils étaient des jurés populaires : tel accusé est-il coupable de tel crime ? Existe-t-il des circonstances aggravantes ?…

Après s’être retirés dans la salle des délibérations, les magistrats votent par bulletins secrets sur la culpabilité et, en cas de réponse affirmative, sur la peine. La majorité requise dans tous les cas est de trois voix sur cinq. Chaque membre de la cour ignore comment ont voté ses collègues.

La cour étant ensuite revenue dans la salle d’audience, son président fait comparaître les accusés et lit les réponses faites aux questions, condamnation ou acquittement.