Par Julien Icard, professeur à l’université Paris Panthéon-Assas.

Pourquoi cet amendement ?

L’amendement se veut une réponse du législateur aux arrêts du 13 septembre 2023 de la chambre sociale de la Cour de cassation dans lesquels elle a jugé que le droit français des congés n’était pas conforme au droit européen (en particulier à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) spécialement sur deux points : d’une part, les salariés en arrêt maladie pour cause non-professionnelle ne pouvait acquérir des droits à congés ; d’autre part, les salariés en arrêt maladie pour cause professionnelle ne pouvait acquérir de tels droits que dans la limite d’un an. Estimant que ces deux limitations étaient incompatibles avec le droit européen, elle en a écarté l’application. Pour éviter que sa décision ne créée une discrimination fondée sur l’état de santé, la chambre sociale a estimé que tous les salariés en arrêt pourraient dès lors cumuler des droits à congés dans les conditions du droit français, c’est-à-dire cinq semaines, voire plus si les conventions collectives le prévoient. Enfin, faisant toujours application du droit européen, elle a jugé que si les employeurs n’avaient pas mis les salariés en mesure d’exercer effectivement leur droit à congés, ces derniers pouvaient en réclamer le paiement sans que la prescription relative aux salaires puissent leur être opposée.

Quoiqu’attendue et peu étonnante, puisque le droit européen va dans ce sens depuis 2012, la solution issue des arrêts du 13 septembre 2023 a été l’objet de critiques en raison des implications pour le futur mais également pour le passé. En effet, les salariés sont en mesure de solliciter rétroactivement des rappels de congés à des employeurs s’étant conformés jusque-là au droit français. Les organisations patronales ont vivement réagi, appelant le législateur à limiter autant que possible ce que certains qualifient de « déflagration » (lien vers le billet CDJ de F. Morel). L’amendement est le fruit de plusieurs mois de lobbying patronal intensif, quelque peu tempéré par l’avis du Conseil d’État rendu le 13 mars dernier.

Que contient cet amendement ?

L’amendement vise à « assurer la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l’Union européenne » tout en en limitant au maximum les effets.

Le législateur supprime les deux limitations du droit français en matière d’acquisition des congés. Désormais, tout salarié dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail continue d’acquérir des droits à congés, quelle que soit l’origine de cet arrêt (professionnelle ou non professionnelle) et sans limitation de durée. Néanmoins, demeure une différence de quantum. A la différence des salariés en arrêt de travail pour raison professionnelle, les salariés en arrêt de travail pour raison non-professionnelle ne pourront ainsi acquérir que deux jours ouvrables de congés payés par mois, soit quatre semaines par an de congés payés, minimum garanti par l’article 7 de la directive 2003/88. Valable sur le plan européen, cette distinction ne devrait pas poser de difficultés sur le plan constitutionnel, le Conseil constitutionnel ayant estimé que la différence de situation selon le motif de la suspension du contrat de travail pouvait justifier une différence de traitement (Cons. const. 2023-1079 QPC).

Le législateur instaure également un droit à une période de report, prévue par la jurisprudence européenne. Il s’agit de permettre au salarié absent qui a acquis des congés de pouvoir les prendre, tout en évitant un cumul illimité de droits à congés qui n’aurait plus de sens au regard de la finalité du droit au congé. Cette période de report est de 15 mois et débute, pour les arrêts maladie de moins d’un an, à compter de l’information que le salarié reçoit de son employeur postérieurement à sa reprise d’activité, relative aux nombres de jours de congés dont il dispose et sur la date jusqu’à laquelle ils peuvent être pris. Pour les arrêts maladie de plus d’un an, la période de report prend effet à la fin de la période d’acquisition des congés.

Enfin, le législateur fait rétroagir l’ensemble de ces dispositions au 1er décembre 2009. Pour autant, les salariés qui réclameraient en justice l’octroi de jours de congés pour la période courant du 1er décembre 2009 à la publication de la loi, devront introduire leur action dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi.

L’amendement règle-t-il toutes les difficultés ?

L’amendement a été rédigé en suivant les recommandations particulièrement détaillées du Conseil d’État, ce qui permet de lever la majeure partie des difficultés liées aux normes constitutionnelles et européennes. Le législateur a cherché à circonscrire les conséquences des arrêts du 13 septembre 2023 tout en en conservant la logique. Certes, les salariés acquerront des droits à congés quelle que soit l’origine, professionnelle ou non, de la maladie et sans limitation de temps. Toutefois, la quantité de congés acquis sera différente selon l’origine de l’arrêt, ce qui ne sera sans doute pas évident à traiter pour les directions des ressources humaines. Cette logique s’applique pour l’avenir (droits à congés naissant postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi) mais également pour le passé (droits à congés nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi). Pour autant, plusieurs points prêtent encore à débats.

Une première remarque concerne les actions relatives aux droits passés. La date butoir choisit par le législateur pour que les salariés fassent valoir leurs droits est le 1er décembre 2009. Pourquoi ? Parce que c’est la date d’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, norme qui fonde les décisions du 13 septembre dernier. Cette date butoir était préconisée par le Conseil d’État dans son avis (§ 8). On peut cependant relever que, dans certains contentieux dits verticaux (salariés contre l’État, une entreprise publique ou une entreprise privée chargée d’un service public), le droit à congés est susceptible de se fonder sur la seule directive 2003/88 (voire sur celle de 1993), de sorte que ces salariés pourraient être en mesure de réclamer des rappels jusqu’à la date à laquelle a pris fin la période de transposition de ces directives, c’est-à-dire la date à laquelle ces salariés peuvent les invoquer directement. En d’autres termes, pour ces salariés, la date butoir du 1er décembre 2009 n’est pas nécessairement conforme à la logique européenne et pourrait donc être écartée.

Une deuxième remarque relative aux droits passés s’impose. Les salariés pourront agir pour réclamer les jours de congé (nés antérieurement à la loi) dont ils s’estiment créanciers, pendant un délai de forclusion, délai insusceptible de report, d’interruption, de suspension et pouvant être invoqué d’office par le juge – de deux ans à compter à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Partant, pour les créances passées, le contentieux devrait être purgé d’ici avril/mai 2026. Cette dérogation à la prescription normalement applicable est ici encore permise par le droit européen tant que le délai n’est pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail et que ses modalités ne rendent pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits ainsi conférés par le droit de l’Union européenne (v. CE, avis, § 54). Si la seconde condition tenant à l’exercice des droits semble remplie, la première peut prêter à discussion puisque le délai pour des recours similaires en droit interne – créances salariales – est de trois ans et non de deux ans.

Un troisième point relatif aux droits passés, pour les salariés dont le contrat est rompu lors de l’entrée en vigueur de la loi, ne va pas de soi. L’exposé des motifs de l’amendement renvoie aux « règles de droit commun, qui impliquent la prescription triennale des actions en matière de paiement de salaires ». Il faut comprendre que le délai de forclusion de deux ans ne leur est pas applicable, puisque ces derniers ne demandent pas « l’octroi de jours de congés », tel que prévu par le texte, mais le paiement d’une indemnité compensatrice de congés. La prescription triennale, ici applicable, devrait courir, selon le Conseil d’État, à compter de la rupture du contrat de travail (CE, avis, § 52). Un tel point de départ est discutable, puisque l’action court en principe à compter du jour où le salarié a connaissance du fait qui lui permet d’agir, qui ne coïncide pas nécessairement avec le jour de la rupture. Quant à l’étendue de la créance, ni l’exposé des motifs, ni le Conseil d’État n’en dit mot. Il faut comprendre que les salariés dont le contrat est rompu peuvent évidemment demander l’équivalent financier des jours de repos dans les mêmes conditions que les salariés dont le contrat est en cours c’est-à-dire en remontant jusqu’au 1er décembre 2009.

Dernière remarque relative à l’application de la nouvelle période de report. Certes, le législateur a calqué la durée de la période de report de 15 mois sur celle retenue en droit public (CE, avis, § 43), durée également admise par le juge européen (CE, avis, § 39). Néanmoins, il est prévu que la période de report commencerait à courir pour les salariés en absence longue durée (au-delà d’un an) à compter « de la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis ». Partant, c’est la fin de la période d’acquisition des congés qui est retenue alors qu’en toute logique, c’est la fin de la période d’exercice des congés – qui suit en droit français la période d’acquisition – qui aurait dû être retenue, faute de quoi il n’y a pas, au sens propre, un vrai droit au report de prise des congés. D’ailleurs, dans le Code du travail, le report des congés acquis est permis lorsque les salariés n’ont pas pu, au cours de leur période d’exercice, écluser leurs congés. Il est ainsi autorisé, sous conditions, « jusqu’au 31 décembre de l’année suivant celle pendant laquelle la période de prise de ces congés a débuté. » (C. trav., L. 3141-22). Pour le dire autrement, le droit au report des salariés en arrêt longue durée sera demain moins favorable que le report de droit commun applicable à l’ensemble des salariés, ce qui est au mieux illogique, au pire cynique et contraire à la finalité d’une telle période en droit européen.