Affaire Nicolas Bedos : c’est « l’intentionnalité » qui compte ?
Nicolas Bedos a été condamné pour agression sexuelle par le Tribunal correctionnel de Paris à un an de prison, dont six mois avec sursis, et à une obligation de soins. Pendant le procès, la défense du réalisateur a mis en avant le caractère non intentionnel de son geste, un argument également soulevé lors du procès pour viol de Mazan. Mais que recouvre exactement la notion d'« intentionnalité » en droit pénal, ou, pour privilégier la terminologie retenue dans les manuels de droit pénal, l’intention coupable ?

Par Simon Husser, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord
En quoi consiste exactement l’intention coupable ?
L’intention coupable renvoie à la volonté de commettre une infraction telle qu’elle est définie par la loi pénale. Aux termes de l’article 121-3 alinéa 1er du Code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Plus précisément, un découpage de l’intention est possible : celle-ci suppose la volonté du comportement incriminé par le texte de loi, doublée de la volonté du résultat engendré par l’acte en cause.
Ce découpage s’applique sans difficulté au cas du meurtre, où il est possible de dissocier la volonté du comportement (tirer un coup de feu, par exemple), de la volonté du résultat (la mort).
Si l’auteur de l’acte souhaitait seulement blesser sa victime, mais qu’il a causé sa mort, ce n’est pas la qualification de meurtre qui sera retenue, mais celle de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner, crime puni moins sévèrement que le meurtre par l’article 222-7 du Code pénal.
Par ailleurs, si la volonté de l’individu était seulement orientée vers un comportement imprudent (appuyer sur l’accélérateur pour passer au feu orange, par exemple), mais non vers le résultat qui a pu en être la conséquence (la mort du piéton que l’automobiliste n’avait pas vu), la qualification retenue sera celle d’homicide « involontaire ». L’article 121-3 précité admet en effet l’hypothèse du délit non intentionnel en ses troisième et quatrième alinéas.
L’agression sexuelle étant une infraction intentionnelle, on pourrait être tenté de dissocier, comme pour le meurtre, la volonté du comportement (imposer à autrui un contact de nature sexuelle) et celle de son résultat (l’atteinte à la liberté sexuelle). Sauf qu’ici, le comportement et le résultat sont tellement imbriqués qu’une telle dissociation semble artificielle. C’est toutefois ce qu’a essayé de faire la défense de Nicolas Bedos qui, pour faire face à la prévention d’avoir posé une main sur le sexe d’une plaignante, a plaidé le contact accidentel. Le geste n’est pas nié, mais la volonté qui l’aurait accompagné serait tournée vers un autre résultat que l’atteinte à la liberté sexuelle : parler à la plaignante ou danser avec elle (20minutes.fr). Cela peut ne pas convaincre, car si la conscience de passer outre le consentement de la victime et la volonté du contact physique de nature sexuelle sont admis, l’intention coupable ne fait guère de doute.
Par ailleurs, l’objectif qui accompagne un geste évoque le mobile, lequel doit être bien distingué de l’intention : il renvoie à la raison profonde qui anime l’auteur de l’acte, au résultat recherché qui n’est pas celui prévu par la loi. En principe, le mobile est indifférent. Peu importe qu’une agression sexuelle soit commise « pour rire », comme c’est le cas avec le « jeu de l’olive », par exemple, ou pour un autre motif. En pratique, le mobile aura néanmoins une incidence sur la fixation de la peine par le juge.
L’ivresse peut-elle faire disparaitre l’intention ?
La question est moins liée à l’intention qu’à son préalable : le discernement. Dès lors que l’intention est une volonté en mouvement, elle suppose une capacité à vouloir. Si le discernement est altéré ou aboli, la responsabilité pénale devrait être aménagée ou exclue, selon les termes de l’article 122-1 du Code pénal.
En réalité, loin d’atténuer la répression pénale, l’état d’ébriété est une circonstance aggravante de nombreuses infractions, dont les agressions sexuelles. La répression peut donc être plus sévère, quand bien même l’auteur des faits ne se souviendrait de rien à cause d’un « blackout ». Nicolas Bedos a d’ailleurs admis être tout à fait conscient de cette logique d’aggravation (20minutes.fr).
Si la solution peut se justifier, en pratique, par l’idée de faute antérieure de l’auteur des faits, elle n’en est pas moins contestable sur le plan juridique, s’agissant des infractions intentionnelles, dès lors qu’au moment des faits le discernement de l’auteur est potentiellement altéré ou aboli (sur l’hypothèse très particulière du crime commis par une personne volontairement intoxiquée, voir Billet Dubois).
Comment prouver l’intention ?
C’est là tout l’enjeu. Si l’intention est en théorie liée à la personne de l’auteur, les juges déduisent en pratique l’intention des faits matériellement constatés ou de circonstances extérieures. En matière de meurtre, par exemple, l’intention de tuer est présumée établie lorsque l’auteur a utilisé une arme létale ou que les coups ont été portés sur une partie vitale du corps. La difficulté probatoire est plus importante quand aucune lésion n’est médicalement constatée ou en l’absence de témoignages concordants.
Précisément, dans l’affaire concernant Nicolas Bedos, comment établir que l’acteur avait bien l’intention de tendre la main vers le sexe de la victime pour porter atteinte à sa liberté sexuelle ?
Le procureur de la République, qui a requis un an de prison avec sursis ainsi qu’une obligation de soins, semble s’être laissé convaincre par la sincérité du témoignage de la plaignante, lequel concorde avec les témoignages de deux autres femmes s’étant constituées parties civiles dans cette affaire, mais pour des faits distincts. Le fait que le prévenu ait présenté ses excuses à la victime pour son comportement « inexcusable », peu après les faits, a sans doute aussi pesé dans l’appréciation du ministère public. Mardi 22 octobre, la peine prononcée était conforme à celle réclamée par le ministère public.