Affaire Mathilde Panot – Rima Hassan : l’apologie du terrorisme, une infraction de trop ?
Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée Nationale, et Rima Hassan, candidate LFI aux élections européennes, ont été entendues par la police judiciaire dans le cadre d’enquêtes ouvertes pour « apologie du terrorisme », en lien avec des propos relatifs à la guerre au Proche-Orient. Une procédure qui a suscité de nombreuses réactions, tant l’infraction reste assez marginale et son application semble en livrer une version plutôt politique, volontiers dénoncée comme une instrumentalisation de la justice pénale. La réalité est loin de cette version, car la procédure a toutes les apparences d’une conformité au droit.
Par Yves Mayaud, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas
Où trouve-t-on le délit d’apologie du terrorisme ?
Le délit d’apologie du terrorisme est visé à l’article 421-2-5 du code pénal : « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende », ces peines étant « portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ». Ainsi rédigée, l’infraction a pour origine la loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. En réalité, il ne s’agit pas d’une incrimination nouvelle, mais d’un transfert vers le code pénal de ce qui figurait déjà dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dont l’article 24 sanctionnait de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui « auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l’apologie ». Il s’agit bien des mêmes faits, seule la peine d’amende ayant été retouchée par une augmentation de son montant, outre la circonstance aggravante d’utilisation d’un service de communication en ligne, qui n’existait pas dans la loi sur la presse.
Ce transfert a été opéré pour des raisons d’efficacité. Du fait de leur appartenance à la loi du 29 juillet 1881, les deux délits relevaient d’un régime particulièrement favorable, qui a toujours été dicté par la volonté de mettre la liberté de la presse à l’abri d’une répression excessive. Devenus des actes de terrorisme à part entière, ils sont aujourd’hui tributaires des dispositions réservées à cette criminalité. Cependant, parce qu’ils ne comptent pas parmi les plus redoutables, le législateur a veillé à ne pas les exposer à des réponses trop lourdes. C’est ainsi que sont écartées la garde à vue de quatre jours et les perquisitions de nuit, la prescription de vingt ans, et l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT). S’appliquent en conséquence la garde à vue de quarante-huit heures et les perquisitions ordinaires, ainsi que la prescription de six ans, tant pour l’action publique que pour les peines. En revanche, demeurent toutes les autres spécificités attachées aux qualifications terroristes : compétence concurrente de la juridiction parisienne, surveillance, infiltration, interceptions de correspondances, sonorisations, captation de données informatiques, mesures conservatoires…
On le voit, la sortie du droit de la presse n’a pas été brutale. C’est avec mesure qu’ont été perdus les avantages du passé, pour ne pas intégrer ce que la répression du terrorisme compte de plus sévère, voire de plus menaçant pour les libertés individuelles.
Que faut-il entendre par « apologie du terrorisme » ?
L’apologie du terrorisme n’est pas autrement définie que par référence à une « apologie », ce qui soulève d’emblée quelques réserves sur la pertinence juridique de la qualification, particulièrement au regard de la légalité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel a eu l’opportunité de se prononcer le 18 mai 2018 (n° 2018-706 QPC). Il a écarté tout grief tiré de la méconnaissance du principe, reprenant à son compte ce que la Cour de cassation avait déjà retenu de la notion, comprise comme le fait d’inciter publiquement à porter sur les infractions terroristes ou sur leurs auteurs un « jugement favorable ».
Une espèce intéressante en témoigne (Crim. 25 avr. 2017, no 16-83.331). Lors d’un rassemblement en hommage aux victimes des attentats qui ont frappé la France entre les 7 et 9 janvier 2015, un participant avait arboré une pancarte sur laquelle était inscrit « je suis Charlie » d’un côté et « je suis A… » de l’autre, ce qui, pour cette seconde mention, était une référence à l’un des djihadistes impliqués dans les attentats. Poursuivi du chef d’apologie d’actes de terrorisme, il fut déclaré coupable par le tribunal correctionnel, mais relaxé en appel. La Cour de cassation, pour sa part, a considéré que, par son comportement, le prévenu avait « manifesté une égale considération pour des victimes d’actes de terrorisme et l’un de leurs auteurs à qui il s’identifiait », ce qui caractérisait le délit dont il avait à répondre. Certes, les victimes n’étaient pas négligées, mais elles venaient à égalité avec l’auteur de l’attentat, présenté sous les traits d’une légitimité équivalente. Cette équivalence ne pouvait que matérialiser l’apologie, avec une intention évidemment conforme, pour faire le jeu d’une version positive du terrorisme, par une approche non critique, et donc favorable. Autrement dit, la neutralité n’a pas sa place en notre matière, même sous couvert d’un subtil dosage entre victimes et acteurs. Il n’est pas de compensation possible, parce que l’apologie s’affirme par le simple fait d’une évocation complaisante.
Ainsi caractérisé par un « jugement favorable », le délit relève d’une appréciation fort nuancée, ce qui ne le rend pas immédiatement accessible, d’autant plus que l’interdiction de l’apologie ne saurait être interprétée comme prohibant le moindre commentaire en rapport avec des actes terroristes. Est en cause la liberté d’expression, qui doit être ménagée, particulièrement sur le terrain politique, au nom de la démocratie et de l’échange des opinions, à la condition de les exprimer loyalement, sans faux semblants, et bien-sûr de ne pas servir de relais à ce que le terrorisme contient en lui-même de condamnable.
Les personnalités politiques devraient-elles échapper aux poursuites ?
L’équilibre entre l’interdit et la liberté est toute la difficulté, surtout lorsque les actions terroristes s’inscrivent dans un contexte historiquement chargé, comme c’est le cas de la situation en Palestine depuis la création de l’État d’Israël. Alors, est naturellement reporté sur les événements ce qui relève de l’opinion personnelle, honnêtement forgée sur de libres convictions, loin d’une adhésion coupable à des faits objectivement criminels. Il appartient à la justice de faire le partage, et de dire si l’opinion s’apparente ou non à l’adhésion. Relativement à l’affaire qui nous retient, les enquêtes réalisées n’ont rien d’anormal. Elles ne sont qu’un préalable nécessaire, destiné à réunir les éléments utiles qui, ensuite, permettront aux magistrats de se prononcer : le procureur de la République dans un premier temps, à qui il revient de décider ou non d’un classement sans suite, et, dans l’hypothèse de poursuites, les juridictions d’instruction et de jugement dans un second temps. Les auditions de Mathilde PANOT et de Rima HASSAN, qui font suite à des plaintes de l’Organisation juive européenne (OJE), ne font que s’inscrire dans cette procédure, laquelle n’a donc rien d’extraordinaire en soi.
On pourrait penser que, afin de préserver le débat démocratique, les personnalités politiques devraient échapper à ce type de convocation. Mais ce serait une rupture d’égalité devant la loi pénale. Certes, le principe de l’opportunité des poursuites permet au procureur de la République de ne pas poursuivre, ce qui participe d’une telle rupture. Mais encore faut-il qu’il dispose de toutes les données pour prendre sa décision, et c’est précisément l’objet des enquêtes judiciaires que de les assurer. En droit pénal, l’apparence doit toujours céder à la certitude, et ce n’est que sur le fondement de cette dernière que la justice est à même de s’appliquer, y compris par l’absence de poursuites.