Par Karine Favro, Professeure de droit public à l’Université de Haute Alsace (CERDACC UR 3992)

Quel est le contexte européen d’adoption de ce Règlement? 

Le nouveau texte s’inscrit dans  la stratégie transversale portée par le Digital service Act, (Règlement sur les services numériques) adopté en octobre 2022, lequel comprend certaines obligations générales de transparence de la publicité en ligne (art. 26, 39) applicables aux intermédiaires en ligne. Le nouveau Règlement couvre l’ensemble des prestataires de services et éditeurs de publicité à caractère politique en ligne et hors ligne élargissant les catégories d’informations relatives à ces publicités politiques, soumises au principe de transparence. Il s’inscrit dans la logique de mise en œuvre de l’obligation de diligence prévue à l’article 44 du DSA pour atténuer les risques systémiques ayant des effets réels ou prévisibles en lien avec les processus électoraux. A ce titre, la Commission a l’intention d’adopter ce mois-ci des lignes directrices sur les mesures d’atténuation des risques pour les processus électoraux. 

En outre, le Règlement relatif à la publicité politique doit être analysé à l’aune du code de conduite de la désinformation en ligne adopté en juin 2022 par la Commission dont l’objectif procède, à travers une quarantaine d’engagements, de la volonté d’assécher le financement de la désinformation en mettant la focale sur la transparence et l’étiquetage de la publicité politique, et de renforcer le rôle des fact checkers. Les 43 signataires s’engagent à le respecter et à construire un système de réponse rapide en cas de crise ou d’élection, sachant que ce dernier ne peut s’appliquer qu’à la lumière des dispositions du DSA rendant le dispositif contraignant en appliquant les sanctions prévues par le texte. A la jonction du DSA et du nouveau Règlement, ce code pourrait bientôt être complété d’un autre versant relatif à la publicité en ligne (art.46 du DSA), élaboré dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation d’étiquetage de la publicité politique envisagée par le nouveau Règlement (art.11). 

Enfin, il sera articulé au Règlement relatif à la liberté des médias, attendu pour l’échéance électorale de juin 2024 mais en attente de l’adoption en plénière à Strasbourg de l’accord en trilogue le 13 mars. Il s’intéresse également à la publicité politique élargissant le champ d’application des exigences en matière de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité au regard de l’attribution de la publicité d’État aux médias, à savoir les fonds publics utilisés à des fins publicitaires, parfois attribués en priorité aux fournisseurs de services nationaux ou utilisés afin de favoriser les opinions favorables au gouvernement. Le même jour sera adopté l’accord en trilogue, du Règlement relatif à l’IA qui s’invite à la stratégie d’ensemble en interdisant l’utilisation d’un système algorithmique pour manipuler le comportement humain et contourner le libre arbitre.

Quel est l’apport du Règlement à la transparence et au ciblage (ou profilage) de la publicité politique ? 

Il est le résultat d’un trilogue douloureux, du moins pour ce qui relève de son champ d’application, des techniques de ciblage des utilisateurs, et de manière très déceptive, de son entrée en vigueur. L’enjeu du Règlement est lié à la définition harmonisée de la publicité politique, inexistante jusqu’alors, laissant le champ libre aux ingérences étrangères, et de son financement exclusivement par les organisations européennes (art.5). Les opinions politiques n’entrent pas dans le champ d’application du texte (art.1), ni les communications sur l’organisation d’élections par des sources officielles nationales ou européennes (art.3). Il vise « la préparation, le placement, la promotion, la publication, la livraison ou la diffusion (…) d’un message, normalement fourni contre rémunération (…): (a) par, pour ou au nom d’un acteur politique (…); (b) ou qui est susceptible d’influencer (le bon déroulement du processus électoral)» (art.3). Il s’applique à toute publicité politique diffusée sur le territoire de l’Union à destination des citoyens européens, quel que soit le lieu d’établissement du prestataire de services (art.2), disposant d’un représentant légal au sein d’un des Etats membres (art.21), condition aisément remplie du fait de l’attractivité du territoire européen en la matière. 

Par ailleurs, le Règlement met en œuvre deux niveaux de transparence. L’un à l’échelle des prestataires de services qui devront consigner des informations pertinentes, notamment celle relative à l’origine du financement, au sein d’un registre (art.8) transmises à l’éditeur de publicité (art.10) pour un étiquetage clair, net et sans ambiguïté, visible des utilisateurs lors de la diffusion des messages (art.11). L’autre à l’échelle de la Commission qui créera, deux ans après l’entrée en vigueur du texte, un registre de transparence des publicités politiques, alimenté avec les annonces publicitaires, les informations associées afférentes aux techniques de ciblage et d’amplification, leur utilisation lorsqu’elles impliquent le traitement de données à caractère personnel pour une durée maximale de sept ans (art.13). 

Le ciblage des publicités politiques reste subordonné au consentement de l’utilisateur et ne peut plus lui être demandé à l’issue d’un refus. Seules les données transmises explicitement pour ce ciblage sont utilisables, interdisant l’utilisation de données sensibles relatives à l’origine ethnique, la religion ou l’orientation sexuelle ou celle des mineurs en application du DSA, mais également et celles obtenues par les tiers en référence à l’affaire Cambridge Analytica. Naturellement, les communications des partis politiques vers leurs membres et abonnés pourront toujours faire l’objet de ciblage (art.18). 

Enfin, le texte introduit la possibilité de sanctions ponctuelles en cas de violations répétées, conformes au DSA, pouvant aller jusqu’à 6 % du revenu annuel ou du chiffre d’affaires d’un fournisseur de publicité (art.25). D’autres sanctions pourront être prononcées en application du RGPD dès lors qu’il est question de la protection de données personnelles. Reste que texte n’est pas figé en contemplation, l’article 27 n’exclut pas la modification du Règlement dans les deux ans de l’élection du Parlement européen si le dispositif se révèle insuffisant à l’appui d’un rapport public remis par la Commission aux deux autres autorités.

Le Règlement sera-t-il applicable avant les élections européennes de 2024 ? 

Alors que le rapporteur sur ce projet, le français Sandro Gozi, invite les grandes plateformes (spécialement dans le viseur) à appliquer les nouvelles règles dès que possible, la majorité s’appliquera seulement dix-huit mois après leur adoption formelle par le Conseil. Seules certaines dispositions s’appliqueront dès la date d’entrée en vigueur (art. 30) dont la possibilité pour les partis politiques européens de mener des campagnes transfrontalières (art. 3), ou les mesures de non-discrimination liées au financement des élections par les organisations européennes (art.5§1). En revanche, n’est malheureusement pas concernée l’interdiction posée à l’égard des entités basées en dehors de l’UE de financer des publicités politiques au sein de l’Union au cours des trois mois précédant une élection ou un référendum (art. 5§2). Les négociations auront eu raison des stratégies de lutte contre les ingérences étrangères !