Quelle portée pour le mandat d’arrêt international visant Bachar al-Assad ?
La justice française a émis un mandat d’arrêt international visant M. Bachar al-Assad, Président de la Syrie, pour des faits de complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris et membre du Club des juristes, explique la nature et le fondement de ce mandat d’arrêt et s’interroge sur sa portée réelle par rapport au principe d’immunité de juridiction des chefs d’État en exercice.
Par Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris et membre du Club des juristes
Une association plaignante dans une information judiciaire portant sur l’attaque au gaz chimique commise en 2013 par les forces syriennes et qui aurait fait plus de mille victimes a fait savoir que les juges d’instruction ont délivré le 14 novembre des mandats d’arrêt internationaux contre quatre hauts responsables politiques et militaires syriens dont M. Bachar Al-Assad, Président de la Syrie. Qu’est-ce qu’un mandat d’arrêt international ? Comment la justice française a-t-elle émis des mandats d’arrêts internationaux dans cette affaire ?
L’expression « mandat d’arrêt international » est une commodité de langage au sens où il n’existe pas de mandat d’arrêt émis par une autorité judiciaire et valablement internationalement du seul fait de cette émission. Un mandat d’arrêt dit international est en fait un mandat d’arrêt national faisant l’objet d’une diffusion internationale par le biais d’un canal mis en place à cette fin comme cela est le cas avec Interpol. Cette diffusion internationale informe seulement les autres États de l’émission de ce mandat et elle n’emporte pas obligation pour eux de le reconnaître et de lui donner effet sur leur territoire. Ces États conservent la faculté d’apprécier s’il y a lieu pour eux de diffuser ce mandat d’arrêt sur leur territoire par le biais de leur système interne de diffusion des demandes d’arrestation.
En l’occurrence, on peut penser que cette dénomination a été utilisée parce que les mandats d’arrêt émis par les juges d’instruction ont visé des personnes résidant à l’étranger. L’article 131 du Code de procédure pénale autorise en effet le juge d’instruction à décerner un mandat d’arrêt « si la personne réside à l’étranger ». Mais le mandat d’arrêt qui est ainsi décerné n’est pas pour autant un mandat d’arrêt international, puisqu’il n’a pas d’effet international. Cet effet ne peut résulter que d’une diffusion internationale de ce mandat, laquelle nécessite de recourir aux mécanismes prévus à cet effet comme l’envoi à Interpol. De surcroît, cet envoi n’est pas le fait du juge d’instruction mais du procureur de la République auquel il incombe de diffuser internationalement les mandats d’arrêts décernés par les juges d’instruction. Il n’est donc pas possible juridiquement d’affirmer que les juges d’instruction saisis de l’attaque au gaz chimique commise en Syrie en 2013 aient émis des mandats d’arrêt internationaux. Il s’agit de mandats d’arrêts nationaux ayant visé des responsables syriens résidant en Syrie, ce qui a conduit l’association-partie civile à les qualifier avec une certaine précipitation et approximation de « mandats d’arrêts internationaux ».
Quel est le fondement de l’information judiciaire ayant donné lieu à ces mandats d’arrêt ?
Ces mandats d’arrêt ont visé des responsables politiques et militaires syriens pour des faits de complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en Syrie contre des syriens. Ils ont donc a priori été émis sur le fondement de la compétence universelle prévue par l’article 689-11 du Code de procédure pénale qui est applicable au crime de génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis à l’étranger contre des victimes étrangères par des étrangers, dès lors que ceux-ci résident habituellement sur le territoire français.
Cette compétence a été récemment élargie par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans deux arrêts du 12 mai 2023 qui ont jugé que la condition de double incrimination formulée par l’article 689-11 n’exige pas que le droit étranger prévoie une incrimination formelle de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il suffit donc que ce droit étranger incrimine à un titre quelconque les faits qualifiés de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre en droit français. Les arrêts du 12 mai 2023 ont précisément été rendus à propos de faits constitutifs de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre commis en Syrie par des Syriens contre des victimes syriennes. Ils ont admis que la compétence universelle de l’article 689-11 du Code de procédure pénale puisse être exercée à l’encontre de ces faits alors même qu’il n’existe pas d’incriminations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en droit syrien. Il convient de signaler que cette condition de double incrimination est supprimée par la loi d’orientation et de programmation du Ministère de la justice 2023-2027 dont l’entrée en vigueur est imminente.
On peut cependant s’interroger sur la compétence universelle française visant les hauts responsables politiques et militaires syriens qui ont fait l’objet des mandats d’arrêt décernés le 14 novembre par rapport à la condition de résidence habituelle posée par l’article 689-11 du Code de procédure pénale. On peut douter que cette condition soit satisfaite s’agissant de ces quatre hauts responsables, alors qu’elle suppose que les personnes poursuivies ont un lien suffisant de rattachement avec la France. Aussi peut-on se demander si ces mandats d’arrêt ne sont pas exposés à être entachés de nullité. Cette condition n’est pas supprimée par la loi d’orientation et de programmation du Ministère de la justice 2023-2027, de sorte qu’elle est de droit positif.
Qu’en est-il du mandat d’arrêt décerné contre M. Bachar Al-Assad qui est le Président de la Syrie par rapport au principe d’immunité des chefs d’État ?
Les chefs d’État en exercice bénéficient d’une immunité de juridiction qui interdit à un État étranger de les poursuivre devant leurs juridictions. Cette immunité a été reconnue par la Cour internationale de justice dans un arrêt du 14 février 2002. Elle a été appliquée à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Celle-ci juge que « la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’État en exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions d’un État étranger ». Cela l’a conduite, par exemple, à rejeter des poursuites pour torture qui visaient le Général Al-Sissi, Président de la République d’Égypte. Certes, la chambre criminelle ménage la possibilité qu’un chef d’Étranger en exercice puisse être poursuivi devant les juridictions pénales françaises. Cette possibilité est cependant liée – selon les mots mêmes employés par la Cour de cassation – à l’existence d’une disposition internationale, c’est-à-dire à une convention internationale ou à un autre instrument international comme une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, qui fait obligation aux États de poursuivre les chefs d’État étrangers nonobstant leur immunité de juridiction.
En l’occurrence, il n’existe pas de disposition internationale en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre s’imposant à la France et lui permettant d’écarter le principe d’immunité de juridiction des chefs d’État. En effet, il n’existe pas de convention internationale sur les crimes contre l’humanité et la CPI n’est pas compétente pour les crimes commis en Syrie, de sorte que son statut ne peut pas être pris en compte pour la poursuite de ces crimes. Pareillement, les conventions de Genève sur le droit de la guerre ne prévoient aucune disposition écartant le principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État en exercice pour les crimes de guerre qu’elles définissent. Il s’ensuit que la condition posée par la Cour de cassation à une possible éviction de l’immunité de juridiction des chefs d’État en exercice n’apparaît pas remplie, ce qui fait douter que le mandat d’arrêt visant M. Bachar Al-Assad soit valable au regard même du droit français.
Son opposition à ce principe du droit international fait également très fortement douter qu’il puisse être diffusé internationalement, c’est-à-dire pris en compte par d’autres États. Outre que cette diffusion ne peut intervenir que si le ministère public français le décide, on peut penser qu’il ne serait pas pris en compte par les États étrangers destinataires, de sorte qu’il devrait demeurer un mandat d’arrêt strictement national, c’est-à-dire non diffusé internationalement, en dépit de la présentation contraire dont il a abondamment fait l’objet.