Que peut la justice contre les droits de douane de Trump ?
Plusieurs requérants, dont plusieurs États américains ont contesté en justice les droits de douane imposés par Donald Trump depuis sa réélection, estimant que le président a outrepassé ses pouvoirs en ne sollicitant pas l’accord du Congrès.

Par Anne Deysine, Professeur émérite de l’Université Paris-Nanterre, Auteure de « Les juges contre l’Amérique » (Presses Universitaires de Paris-Nanterre)
Quels États ont contesté en justice les droits de douane instaurés par Donald Trump ?
Les décrets mettant en place les droits de douane font l’objet de plusieurs contestations en justice, celle de la Californie, celle de 12 États dirigés par les démocrates dont New York, l’Oregon, le Colorado et l’Arizona représentés par leurs ministres de la justice (AG) ou celle de la nation indienne Blackfeet. Plus curieusement, plusieurs fondations de droite ont aussi saisi la justice : la National Civil Liberties Alliance (NCLA), le Liberty Justice Center et la Pacific Legal Foundation, inscrits comme groupes « à but non-lucratif » et financés par Donors Trust, la galaxie Leo (du nom du dirigeant de la Federalist Society à qui Trump a sous-traité la sélection des 250 juges nommés par lui) et le milliardaire Koch qui s’est opposé en justice, avec succès, via ces entités à pratiquement toutes les mesures et politiques des présidents démocrates Obama et Biden.
Sur quelles bases juridiques ?
Les ministres de la justice (AG) et les Fondations de droite (sauf une qui a saisi une juridiction fédérale en Floride) ont porté leurs contentieux devant la Cour du commerce International (U.S. Court of international Trade).
La requête des AG établit l’intérêt à agir des États requérants (de leurs administrations, leurs universités et leurs entreprises) qui découle du préjudice subi – détaillé dans la requête et facile à établir en principe. Tous sont tributaires de l’énergie importée du Canada et de différents biens et matériels importés des pays visés par les décrets, ce qui perturbe leur fonctionnement et leur marché de la construction par exemple. Selon l’action intentée par les États, Trump commet des abus de pouvoir et porte atteinte à la séparation des pouvoirs. Ses actes sont en violation des pouvoirs du Congrès puisqu’ils équivalent à une augmentation massive des impôts non approuvée par le législateur. Globalement, il est reproché au président de « bousculer l’ordre constitutionnel et d’apporter le chaos à l’économie américaine ». Parce que ces droits de douane sont contraires à la loi, les requérants demandent à la juridiction d’interdire aux agences et à leurs responsables de les faire appliquer et d’invalider les actes des agences qui contreviendraient à la décision.
Les requérants soutenus par les Fondations invoquent aussi l’usurpation du pouvoir législatif qui, en vertu de l’article I de la Constitution, a autorité pour « réglementer le commerce international » et fixer impôts et droits divers. Selon eux, ces décrets constituent des atteintes à deux constructions jurisprudentielles (« doctrine ») qui ont la faveur de la droite, la non delegation doctrine et la question majeure ou major question doctrine. Les droits de douane vont au-delà des délégations de pouvoir que le Congrès peut consentir et ils ont un impact trop important. Depuis 2021, la Cour suprême a invalidé sur cette base plusieurs des initiatives du président Biden : son plan massif d’effacement des prêts étudiants, l’obligation de vaccination Covid pour les salariés des entreprises de plus de 100 employés et un moratoire contre les évictions durant la pandémie (qui aurait représenté un coût de 26 milliards de dollars pour les propriétaires). En vertu de la règle de la « question majeure », la Cour exige que le Congrès, lorsqu’il autorise l’Exécutif à « prendre des décisions d’ampleur économique et politique significative », exprime clairement ses directives. Ce n’est pas le cas ici.
Certains requérants concentrent leur action sur les droits de douane du 2 avril (Liberation Day) quand d’autres ciblent un pays (Canada pour les tribus, Chine pour la NCLA) et d’autres contestent le recours à une loi d’exception, la loi sur les Urgences internationales (International Emergency Economic Powers Act, IEEPA) de 1977 qui fixe des conditions précises à l’imposition de certaines sanctions (mais a priori pas des droits de douane) par le président. Il faut qu’existe une menace « inhabituelle et extraordinaire à la sécurité nationale ou à l’économie des États-Unis qui a sa source en partie ou en totalité à l’extérieur des États-Unis ». Faut-il penser qu’un déficit commercial qui perdure depuis des décennies constitue une menace inhabituelle et par nature brève ? Non, répondent-ils, seulement « dans l’imagination du président ».
La justice, dernier rempart ?
Avant d’être juridique, la réponse de l’administration a été le mélange habituel de mensonges et de menaces, Trump et ses proches insultant les procureurs avant de vilipender les juges. Letitia James, AG de New York à l’origine du contentieux (qui a déjà poursuivi l’empire Trump pour fraude financière et obtenu sa condamnation), est accusée de « privilégier une chasse aux sorcières plutôt que le bien-être et la sécurité de ses administrés ». L’administration ajoute « demeurer déterminée à faire usage de ses pouvoirs pour faire face aux urgences nationales que constituent l’immigration illégale, l’importation de fentanyl (opiacé à l’origine d’une grave crise de santé) et les droits de douane iniques imposés par les pays étrangers qui « grugent les Etats-Unis depuis des décennies ». Mais Trump a un problème : il peut difficilement qualifier de « radicaux de gauche attachés à sa perte » des alliés de longue date qui ont joué un rôle central pour l’aider à nommer des juges idéologiquement « conformes » et ont, par leurs actions en justice, paralysé les administrations démocrates.
Ces procès sont l’illustration du fossé qui se creuse entre les conservateurs traditionnels attachés au libre-échange et les alliés idéologiques du président. Ils sont aussi la confirmation qu’en l’absence de réaction du Congrès, qui est aux ordres et ne joue pas son rôle de contre-pouvoir, la voie judiciaire est la seule qui puisse s’opposer à la dérive autocratique (qui, dans le cas des droits de douane massifs, sape la puissance économique et diplomatique des Etats-Unis) et à la vision d’un « Exécutif unitaire » à l’abri de tout contrôle. Mais le pouvoir judiciaire ne peut pas tout et le temps de la justice est long. Les affaires vont cheminer lentement, sans doute jusqu’à la Cour suprême, souvent peu désireuse de se mêler de questions d’urgence nationale, mais où plusieurs juges sont de fervents tenants de la doctrine de « la question majeure ». Quelles que soient les décisions rendues, le chaos aura régné sur le commerce international mondial pendant plusieurs mois, avec des conséquences durables.