Pourquoi il faut redonner un sens européen aux élections européennes
Supposées incarner l’un des temps forts de la démocratie européenne, les élections au Parlement européen peinent à jouer ce rôle. Les enjeux politiques de ces élections ne pouvant, par construction, s’émanciper du contexte politique national, il ne faut sans doute pas s’étonner des conséquences nationales attachées à ces élections. Y compris par le choix de la dissolution qui renationalise plus encore ces élections et annihile leurs enjeux européens.
Par Brunessen Bertrand, Professeure à l’Université de Rennes, Chaire Jean Monnet sur la gouvernance des données, membre de l’Institut universitaire de France
Pourquoi les enjeux des élections européennes restent nationaux ?
Les parlementaires européens, qui représentaient les « peuples des Etats membres » avant le traité de Lisbonne et sont désormais les représentants des citoyens européens au sens de l’article 14 TUE, peinent, en dépit du travail souvent solide fourni par cette institution, à « structurer une conscience politique européenne » au sens de l’article 10§4 TUE.
Les raisons s’additionnent : absence d’un peuple européen, nécessaire juridicisation et technicisation des enjeux législatifs européens pour parvenir à des compromis, dualité de la légitimité démocratique dans l’Union qui repose, sur le plan politico-juridique, autant sur l’élection au Parlement européen que sur la légitimité politique étatique. Le principe de démocratie, au sens de l’article 10 TUE, repose en effet sur une double légitimité : les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen, et les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens.
La pratique politique va dans le même sens, valorisant les carrières politiques nationales et écartant toute personnalité politique forte des figures censées incarner et porter la construction politique européenne. Dans ces conditions, l’élection au suffrage universel direct s’est rapidement révélée un trompe-l’œil, à tout le moins en France, les procédures électorales restant principalement régies par des dispositions nationales, dans le cadre de listes nationales composées par les partis politiques nationaux en fonction d’enjeux politiques internes. Les électeurs français connaissent d’ailleurs assez mal les groupes politiques au Parlement européen dans lesquels vont siéger leurs élus.
Pourquoi une telle dépolitisation des élections européennes ?
La dépolitisation, au niveau européen, des élections au Parlement européen s’explique, au-delà de la dynamique plus générale de technicisation des enjeux européens, par la prépondérance de la légitimité étatique dans la décision européenne. Certes, l’amalgame induit par les processus décisionnels filtre les intérêts des Etats pris isolément, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une somme des intérêts nationaux ; aussi, de cette fusion des intérêts étatiques, le tout est plus que la somme des parties. Les électeurs se saisissent des élections européennes pour marquer leur désapprobation de la politique nationale, peut-être aussi parce qu’ils ont confusément l’intuition que ces élections constituent un jeu à somme nulle. Sans minimiser les enjeux, réels, de ces élections, au regard de l’ascension institutionnelle du Parlement européen dans les procédures décisionnelles et la pratique politique européenne, il faut bien reconnaître que le centre de gravité du pouvoir reste dispersé entre les différentes institutions et que le rôle des Etats reste central dans les orientations stratégiques qu’ils donnent au sein du Conseil européen, dans le rôle de colégislateur du Conseil et, par de multiples ricochets, par leur rôle dans la composition de la Commission.
Au-delà du fonctionnement institutionnel, la pratique parlementaire accrédite encore l’importance du filtre étatique. Si, au sein du Parlement, le regroupement en groupes politiques s’opère par affinités politiques et non par nationalité, il ne faut pas surestimer la politisation de la vie parlementaire européenne dans laquelle la pratique du compromis remplace la discipline de vote et atténue la réalité des réelles alliances partisanes dont le fonctionnement reste très arrimé aux enjeux nationaux. Il est ainsi permis de se demander si une culture politique qui n’est pas fondée sur le clivage peut encore intéresser les électeurs et observateurs politiques.
Comment européaniser les élections européennes ?
Une politisation des élections européennes n’est pas impossible. Si l’on accepte de dépasser le tropisme juridique des enjeux européens pour admettre le débat politique à l’échelle européenne, si l’on s’émancipe de l’exclusivité des listes nationales pour admettre une liste transnationale dans le cadre d’une circonscription européenne, alors les conditions de l’émergence d’un débat politique européen seraient en partie réunies. Une telle proposition avait été faite par le Parlement d’une circonscription proprement européenne en lien avec l’institutionnalisation de la pratique des spitzenkanditaten afin d’élever au niveau européen les enjeux politiques de cette élection, en renforçant la dimension européenne des partis politiques au Parlement, et peut-être limiter un phénomène d’abstention, justifié par l’annihilation des conséquences politiques européennes de l’élection.