Nouveau durcissement de la loi britannique sur les migrations
Par Thibaut Fleury Graff – Professeur à l’Université Paris-Saclay (UVSQ) – Co-porteur du Projet « RefWar – Protection en France des exilés de guerre » (ANR 2019-2023)
Le 7 mars 2023, le gouvernement britannique a présenté un projet de loi visant à lutter contre l’immigration irrégulière. En prévoyant la rétention et l’éloignement de tous les étrangers parvenus sur le sol britannique de manière irrégulière, y compris ceux qui pourraient prétendre à la qualité de réfugié, le Royaume-Uni viole ses obligations internationales et européennes, comme il l’a déjà fait au printemps 2022 en concluant un accord avec le Rwanda.
Que prévoit la nouvelle loi britannique sur les migrations ?
Le 7 mars 2023, le gouvernement britannique a présenté un nouveau projet de loi contre l’immigration illégale. Cet « Illegal Immigration Bill » a pour objectif principal de permettre la rétention puis l’éloignement, vers leur pays d’origine ou vers un pays tiers sûr, des étrangers parvenus de manière irrégulière sur le territoire anglais. Selon l’exposé du gouvernement, cette nouvelle législation doit permettre de mettre fin à l’immigration illégale par la voie maritime (sont ainsi spécifiquement visées les traversées de la Manche sur des embarcations de fortune), d’accélérer l’éloignement des étrangers en situation irrégulière tout en développant l’accès légal au territoire britannique pour ceux d’entre eux qui ont droit à l’asile, d’éviter le détournement des garanties contre l’esclavage moderne, lesquelles préviendraient cet éloignement et, enfin, de développer les mécanismes de relocalisation au bénéfice de ceux qui nécessitent une protection.
Pourquoi le gouvernement britannique souhaite-t-il faire évoluer la loi sur les migrations ?
Depuis plusieurs mois maintenant, le Royaume-Uni cherche à durcir considérablement les possibilités, pour un étranger arrivant sur son territoire de manière irrégulière, d’y demeurer, quand bien même il craindrait des persécutions dans son État d’origine. Le gouvernement britannique avait, déjà, surpris en avril 2022en concluant un accord avec le Rwanda, en vertu duquel les personnes arrivant illégalement sur le territoire anglais, par la Manche, doivent être éloignées vers ce pays africain, charge pour ce dernier de statuer sur leur éventuelle demande de protection internationale. Les étrangers ainsi protégés doivent, sur le fondement de cet accord, être autorisés à rester sur le territoire rwandais – sans possibilité ou presque d’être réinstallés ensuite au Royaume-Uni – quand ceux qui ne le seraient pas devraient être éloignés vers un État tiers, tel leur État d’origine.
La nouvelle loi annoncée en mars 2023 vient donc compléter ce dispositif inédit sur le continent européen, et en insérer les principales dispositions en droit interne, afin notamment d’interdire toute demande d’asile formulée par un étranger arrivé en situation irrégulière, et de permettre son éloignement « aussi rapidement que cela est pratiquement possible ».
Deux phénomènes principaux expliquent ces évolutions saluées par les diverses forces d’extrême droite européennes : d’une part, l’augmentation, factuelle, des traversées de la Manche sur des « small boats », puisque celles-ci ont été en 2022 au nombre de 45 000 – un chiffre certes record, mais qu’il faut néanmoins mettre en perspective avec le nombre total d’étrangers arrivés cette année-là au Royaume-Uni (près de 105…millions !) ; d’autre part, la promesse faite au moment du Brexit que la sortie de l’Union européenne permettrait de réduire considérablement les migrations illégales, ce qui n’a jusqu’à présent pas été le cas. Or, le gouvernement conservateur britannique, fragilisé par les frasques et la fin du mandat de Boris Johnson en juillet 2022, pense jouer sur cette question des migrations une partie de sa crédibilité.
Cette loi est-elle conforme aux obligations internationales et européennes du Royaume-Uni ?
Tant l’accord conclu avec le Rwanda au printemps 2022, que le projet de loi présenté le 7 mars 2023, ont été sévèrement critiqués, y compris par des instances habituées à une certaine réserve dans leurs commentaires. Ainsi, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a-t-il jugé que le nouvel Illegal Immigration Bill constitue « une violation caractérisée » de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, ce qu’il avait déjà affirmé concernant l’accord avec le Rwanda. Deux stipulations de cette Convention, reprises et complétées par d’autres textes, interdisent en effet de telles pratiques.
Tel est déjà le cas de son article 33, lequel interdit aux Etats parties d’ « expulser ou de refouler », de « quelque manière que ce soit », « un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Cette obligation découle également du droit international et européen des droits de l’Homme, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ores et déjà constaté la très probable incompatibilité de l’accord anglo-rwandais avec la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, tant cet accord que la nouvelle loi anglaise conduisent à éloigner vers un pays tiers, avec lequel les étrangers concernés peuvent n’avoir aucun lien – on rappellera en effet que la majorité des migrants qui empruntent des small boats sur la Manche sont originaires d’Albanie, d’Afghanistan ou d’Iran –, des personnes dont la situation individuelle n’aura pas été examinée. Ce faisant, les autorités anglaises sont dans l’incapacité de vérifier si ces personnes risquent, ou non, des traitements contraires aux stipulations précitées.
En outre, en prévoyant l’impossibilité pour les étrangers arrivant illégalement sur son territoire de demander à être reconnus réfugiés, et en prévoyant leur détention systématique, le projet de loi 2023 viole frontalement l’article 31 de la Convention de 1951. Celui-ci prévoit en effet l’interdiction pour les Etats parties d’appliquer des sanctions pénales et des restrictions « autres que nécessaires » aux déplacements des réfugiés qui entrent et/ou séjournent de manière irrégulière sur leur territoire. Qui plus est, et là encore, la Convention européenne des droits de l’homme prohibe la détention automatique des étrangers, sans examen de leur situation individuelle, au seul motif de leur arrivée irrégulière sur le territoire d’un Etat partie.
L’adoption de cette nouvelle loi, dont le Gouvernement britannique est très conscient de la probable inconventionnalité – le projet de loi lui-même s’ouvre par une remarque explicite en ce sens – poursuit ainsi le lent travail de violation du droit international et européen et de destruction du droit de l’asile auquel se livre le Royaume-Uni depuis plus d’un an, motif pris des quelques milliers de traversées irrégulières de la Manche qui surviennent chaque année, lesquelles représentaient très exactement, en 2022…0,00042% des arrivées d’étrangers sur le sol britannique.
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