Par Julia Grignon, Professeure invitée de la Faculté de droit de l’Université Laval et Tara Ibrahim Doctorante en droit international humanitaire

Comment le droit international humanitaire réglemente-t-il les armes ?

En droit international, certaines armes sont interdites, d’autres font l’objet d’une régulation spécifique.
Le but de la guerre étant d’affaiblir le potentiel de l’armée ennemie, mettre hors de combat le plus grand nombre de membres des forces armées possible suffit à la mener. Aussi le droit international humanitaire interdit les maux superflus causés aux combattants. Il en résulte corrélativement l’interdiction de certaines armes, propres à causer de tels maux : les armes chimiques et biologiques par exemple, ou encore les armes à laser aveuglantes et les armes incendiaires. De même, le principe de distinction sous-tendant l’ensemble du droit international humanitaire, l’emploi de toute arme devrait toujours conduire à pouvoir faire la distinction entre les civils et les combattants, afin que les civils ne soient jamais directement ciblés, pourvu qu’ils ne participent pas aux hostilités. Il en résulte donc aussi l’interdiction de certaines armes qui n’offrent pas cette possibilité. C’est le cas des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions.

Il convient en outre de préciser que les États parties au Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, et qui fait partie du socle fondamental du droit international humanitaire, ont l’obligation, lorsqu’ils mettent au point, acquièrent ou adoptent une nouvelle arme, d’évaluer si son emploi pourrait en être interdit aux termes du droit international humanitaire existant. Cette obligation pèse tant sur les pays producteurs qu’acheteurs. Certains acteurs importants du commerce international des armes ne sont toutefois pas parties à ce Protocole, et au premier rang desquels les États-Unis et Israël.

Enfin, mention doit être faite des armes nucléaires, qui font l’objet d’un traité les interdisant depuis 2017. Les États parties à ce traité ont notamment l’obligation de ne pas fabriquer, acquérir, employer ou participer au transfert de telles armes. En tout état de cause, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un avis consultatif en 1996 duquel il peut être déduit que l’emploi d’armes nucléaires serait incompatible avec le respect du droit international humanitaire.

À quelle(s) condition(s) un État peut-il vendre des armes à un autre État  ?

Reposant sur le constat que le commerce des armes contribue à des violations graves des droits humains dont les civils sont les premières victimes dans les conflits armés, le Traité sur le commerce des armes (TCA) a vu le jour en 2013. Ce traité a pour but, non pas d’interdire les armes en général, ou certaines armes en particulier, mais d’encadrer strictement le commerce international des armes classiques afin de prévenir et d’éliminer leur commerce illicite et d’empêcher leur détournement. Au-delà d’exiger que les États parties tiennent des registres nationaux des exportations et des importations d’armes conventionnelles et qu’ils fournissent des rapports réguliers à un organe de suivi international, le TCA interdit tout transfert d’armes classiques, munitions, pièces ou composantes, si l’État exportateur « a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie. »
Quant aux États non parties au TCA – dont les États-Unis –, ils demeurent toutefois soumis à l’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire contenue dans les Conventions de Genève de 1949, universellement ratifiées. Cette obligation implique notamment de s’abstenir de transférer des armes si l’on peut s’attendre à ce qu’elles soient utilisées pour commettre des violations du droit international humanitaire. Sur ce point, le travail des ONG documentant des violations, tel que le rapport d’Oxfam et Human Rights Watch qui ne documente pas moins de sept violations du droit international humanitaire, est important, puisqu’il permet d’attirer l’attention des États sur les risques liés à leurs exportations d’armes.

Il faut également noter que sur la base de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 la CIJ a adopté le 26 janvier 2024 des mesures conservatoires en raison de l’existence d’un « risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » dans la bande de Gaza. Dès lors, aucun État partie à cette Convention, au rang desquels figurent cette fois les États-Unis, ne devrait concourir à ce risque, et pour ce faire s’abstenir de vendre ou transférer des armes vers Israël.

Qui peut veiller à ce que les interdictions du droit international soient respectées ?

Le TCA prévoit des mécanismes de suivi et d’examen pour assurer le respect des engagements pris par les États parties, y compris des mécanismes de vérification des rapports, des échanges d’informations et des consultations entre États. Toutefois les juges nationaux et/ou la société civile jouent un rôle crucial en la matière. À titre d’exemple, le 12 février dernier, un tribunal des Pays Bas se fondant sur le TCA a prononcé un jugement interdisant au gouvernement néerlandais d’exporter des composants d’avions de combat F-35 vers Israël, estimant qu’il existe un risque clair que ces transferts permettent des violations graves du droit international humanitaire.

De même, de nombreuses ONG, dont Oxfam, Human Rights Watch et Amnesty International, ont publié des lettres ouvertes demandant aux gouvernements canadien et américain de cesser leurs exportations d’armes vers Israël, ce qu’a fait le Canada. Si l’arrêt des transferts d’armes à Israël n’est pas à l’ordre du jour pour les États-Unis, le secrétaire d’État Antony Blinken s’est tout de même engagé à rendre un rapport au Congrès en mai, sur l’évaluation de l’utilisation faite par Israël des armes américaines.