Par Nicolas Clinchamps, Maître de conférences de droit public, habilité à diriger des recherches, IDPS, Université de la Sorbonne Paris Nord

Quand l’Ukraine a-t-elle demandé son adhésion à l’OTAN ?

L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est pas un sujet nouveau. Lors du sommet de Bucarest du 2 au 4 avril 2008, cette question (concernant également la Géorgie) était déjà à l’ordre du jour et elle divisait déjà les alliés. Le président américain, Georges W. Bush, y était favorable. Il souhaitait parachever le mouvement d’adhésion des anciens membres du Pacte de Varsovie et des États baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie). Cependant, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Nicolas Sarkozy, y étaient hostiles, préférant ménager Vladimir Poutine. La déclaration du sommet de Bucarest renverra la question à plus tard : les candidats « deviendraient » membres de l’Alliance, sans autre précision.

Poutine s’est alors senti les mains libres et a envahi une partie de la Géorgie en août de la même année. Entre novembre 2013 et février 2014, les manifestations d’Euro-Maïdan ont conduit à la destitution du président pro-russe, Viktor Ianoukovitch, et depuis l’élection de Volodymyr Zelensky en 2019, le pays s’est résolument tourné vers l’Europe occidentale, provoquant l’ire de la Russie. Le conflit russo-ukrainien a débuté en 2014 avec l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass opposant Kiev aux séparatistes pro-russes soutenus par Moscou. Le 24 février 2022, la Russie a lancé une offensive d’envergure plongeant l’Ukraine dans une guerre totale. Européens et Américains ont alors décidé d’armer l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre.

La guerre a rapidement relancé la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Lors du sommet de Vilnius des 11 et 12 juillet 2023, cette question s’est à nouveau posée. Cependant, les positions des alliés ont évolué. Alors que l’Union européenne (UE) arme l’Ukraine, les États-Unis tergiversent, le Congrès rechignant actuellement à voter une aide militaire.

Quelles seraient les conséquences d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ?

Si l’Ukraine adhérait aujourd’hui à l’OTAN, les membres de l’Alliance entreraient, en principe, immédiatement en guerre. Ce scénario serait la conséquence directe de l’activation automatique de la clause de défense mutuelle.

En vertu de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949 : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ».

Ce principe a été institué pour garantir la sécurité des États membres d’Europe occidentale face à la menace soviétique au début de la guerre froide. Le 12 mai 2023, dans un entretien accordé au journal Le Monde, la première ministre d’Estonie, Kaja Kallas, a souligné à quel point l’OTAN protégeait son pays d’une éventuelle attaque russe : « Si la Russie ne nous a pas attaqués, c’est parce que nous sommes dans cette alliance ». À l’image de la dissuasion nucléaire, cette clause « Mousquetaire » est avant tout une arme dissuasive.

Pourquoi l’Ukraine ne peut-elle pas adhérer maintenant à l’OTAN ?

Aujourd’hui, la question d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN rejoint celle de son entrée au sein de l’UE. Les deux questions sont d’autant plus liées que le traité de Lisbonne a adopté la clause de défense mutuelle (art. 47, § 2 TUE). Dans un cas comme dans l’autre, Volodymyr Zelensky a sollicité une procédure d’adhésion accélérée. Du côté de l’UE, faute de procédure spéciale, le calendrier a été « raccourci ». Le 23 juin 2023, les Vingt-sept ont accordé le statut de candidat à l’Ukraine (et à la Moldavie) et ont décidé d’ouvrir les négociations d’adhésion le 14 décembre suivant. Du côté de l’OTAN, le Membership Action Plan (MAP) a été créé en 1999. Il permet d’ouvrir les négociations d’adhésion. Dans les deux organisations, l’unanimité des États membres est requise. Pour autant, les portes ne sont qu’entrouvertes. Toute perspective d’adhésion immédiate est suspendue à la fin de la guerre et à de profondes réformes structurelles.

Les État membres de l’OTAN restent, en outre, divisés. Si la Pologne et les États baltes sont favorables à l’adhésion, l’Allemagne et les États-Unis se montrent réticents. Le 5 avril 2023, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a estimé qu’il fallait « amener l’Ukraine au niveau des normes de l’OTAN et de l’interopérabilité de l’OTAN ». La position de la France, quant à elle, s’est clarifiée. À l’issue d’un conseil de défense tenu à l’Élysée, le 12 juin 2023, Emmanuel Macron s’est rangé à la perspective d’une adhésion dans le but d’obliger Moscou à négocier. Les conséquences d’une adhésion, à plus ou moins long terme, restent porteuses d’incertitudes. Plus que jamais, il est urgent d’attendre.