La proposition américaine d’élargir le Conseil de sécurité des Nations unies : retour du « serpent de mer »
La réforme du CSNU vient de connaître un nouveau soubresaut. A quelques jours du Sommet pour l’avenir, l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU a confirmé le soutien de son Etat à la création, au CSNU, de deux sièges permanents sans veto pour l’Afrique et d’un siège tournant pour les petits Etats insulaires en développement. Quels sont les tenants et les aboutissants d’une telle proposition ?
Par Marie-Clotilde Runavot, Professeur à l’Université Toulouse Capitole
Pourquoi modifier la composition du CSNU ?
Il faut savoir que l’ONU a cinq organes principaux (Assemblée générale, CSNU, Conseil économique et social, Cour internationale de Justice, Secrétariat général). Parmi eux, le CSNU est cependant le seul à pouvoir prendre des décisions juridiquement contraignantes pour les Etats membres (art. 25). Il a aussi la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, dont il est réputé s’acquitter au nom de l’ensemble des Etats membres de l’ONU (article 34§1). Pourtant, le CSNU est un organe dit « restreint » où tous les Etats membres de l’ONU ne sont pas représentés sur un pied d’égalité. Plus exactement, le CSNU comprend actuellement 15 membres, dont 5 membres permanents qui sont historiquement les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie). Les 10 autres sont élus pour un mandat de 2 ans par l’Assemblée générale sur la base d’un critère géographique, inchangé depuis 1963 et qui aboutit à attribuer des sièges par groupe régional d’Etats (3 pour l’Afrique, 2 pour l’Asie-Pacifique, 2 pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 1 pour l’Europe orientale et 2 pour l’Europe occidentale et les autres Etats). Les décisions sur des questions autres que procédurales sont prises à la majorité de 9 voix sur 15 parmi lesquelles doivent impérativement figurer celles des membres permanents. Autrement dit, si tous les Etats représentés au CSNU y disposent d’une voix, les 5 permanents ont le pouvoir d’empêcher la prise de décision, notamment dans le domaine du maintien de la paix (le fameux « pouvoir de veto »). Dans ces conditions, disposer d’un siège au CSNU est un enjeu de pouvoir évident pour les Etats tandis que la composition actuelle n’est clairement plus en phase avec la réalité des rapports de puissance au XXIe siècle. La représentativité et partant la légitimité du CSNU sont contestées, et ce de longue date. En 2008, l’Assemblée générale a ainsi décidé de relancer les négociations intergouvernementales concernant « la représentation équitable » au CSNU et « l’augmentation de ses membres » (déc. 62/557) mais la question demeurait encore à l’ordre du jour de la 78e session… Si les membres permanents comme la France acceptent d’augmenter à 25 le nombre de membres pour garantir une « présence renforcée des pays africains dans ses deux catégories de membres », le droit de veto ne doit pas être altéré (voir la position de la Russie : https://press.un.org/fr/2024/cs15788.doc.htm) alors que les États africains veulent généralement son abolition ou sa généralisation à l’ensemble des permanents (ibid.). Enfin convient-il de s’entendre sur l’identité des potentiels nouveaux membres permanents…
Comment modifier la composition du CSNU ?
Toute réforme de la composition du CSNU exige une révision de la Charte des Nations Unies. En théorie, ce texte n’est pas immuable et prévoit deux procédures : d’abord, celle des amendements adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée générale (art. 108) ; ensuite, celle des modifications sur recommandation d’une conférence générale des Membres des Nations Unies, où chacun d’eux disposera d’une voix, mais dont la date et le lieu auront été fixés « par un vote de l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers et par un vote de neuf quelconques des membres du Conseil de sécurité » (art. 109). Surtout, amendements comme modifications à la Charte ne produiront leur effet que s’ils sont « ratifiés, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, par les deux tiers des Membres des Nations Unies, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité ». Avec 193 Membres à ce jour et un droit de veto conférer là encore aux membres permanents du Conseil de sécurité, on comprend qu’en pratique toute révision de la Charte et en particulier de la composition du Conseil de sécurité est pour le moins difficile…
Cette proposition portée par les Etats-Unis a-t-elle des chances de se concrétiser ?
La réponse doit se faire en deux temps. Premier aspect, le Conseil de sécurité a déjà été élargi de 11 à 15 Membres par un amendement à la Charte, entré en vigueur en 1965 et ajoutant 4 sièges non permanents tout en élevant de 7 à 9 la majorité qualifiée requise. Mais cet élargissement était la conséquence logique de l’augmentation significative du nombre de membres des Nations Unies sous l’effet du processus de décolonisation et n’altérait ni le privilège du veto ni l’équilibre des pouvoirs au CSNU. Deuxième aspect, le contexte géopolitique est désormais complètement différent et la proposition américaine ne peut satisfaire pleinement les Etats africains ou insulaires qui souhaitent précisément la remise en cause des prérogatives des membres permanents et une remise à plat d’une institution taxée d’archaïsme. Certes, l’obtention des voix nécessaires pour l’adoption d’une telle proposition n’est pas impossible et les membres permanents ne devraient pas s’y opposer. Mais chercher à modifier la Charte est de toute façon une impasse et l’amélioration institutionnelle passe par des voies plus souples : adaptation des méthodes de travail du CSNU, pratiques et engagements politiques des membres comme celui de la France, en 2015, de ne pas recourir au veto en cas d’atrocités de masse. En somme, l’effet d’annonce de la proposition américaine est évident alors que le mandat du Président Biden arrive à son terme et que l’imminent Sommet pour l’avenir envisage évidemment de déterrer le serpent de mer…