Par Romain Le Boeuf – Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille

Que sont les Casques bleus ? 

L’expression « Casques bleus » désigne les forces déployées par les Nations Unies dans le cadre de ses opérations de maintien de la paix. La première force a été créée en 1948, lorsque le Conseil de sécurité a décidé de déployer des observateurs militaires à l’occasion du conflit entre Israël et ses voisins. Au total, ce sont 71 opérations qui ont été menées par les Nations Unies : 31 ont été déployées sur le continent africain, 10 sur le continent américain, 10 en Asie, 9 en Europe et 11 au Moyen-Orient. Parmi ces missions, 60 sont arrivées à leur terme et 11 sont toujours en cours. La durée des missions est très variable : certaines n’ont duré que quelques mois, tandis que d’autres se sont étendues sur plusieurs décennies (c’est le cas de la première mission qui, créée en 1948, est toujours déployée aujourd’hui).

Les Nations Unies ne disposant pas de forces armées permanentes, l’organisation a en pratique recours à des contingents nationaux mis à sa disposition par les États membres. Pour autant, le trait caractéristique des Casques bleus tient au fait qu’ils opèrent sous le commandement direct des Nations Unies : leurs opérations doivent en cela être distinguées de celles conduites sous commandement étatique ou dans le cadre d’organisations régionales. Contrairement à une idée répandue, les grandes puissances sont loin de constituer l’essentiel des forces des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Les trois premiers contributeurs sont le Népal, le Rwanda et le Bangladesh. La Chine n’arrive qu’en 8e position, la France en 22e avec 592 agents actuellement déployés et les États-Unis en 74e position avec 25 agents.

Quelles sont les missions des Casques bleus ?

Les missions des Casques bleus sont définies au cas par cas dans le cadre du mandat qui leur est confié au moment de la création de chaque mission et peut être amendé par la suite pour prendre en compte l’évolution de la situation et des besoins. En principe, c’est le Conseil de sécurité qui décide de la création des opérations de maintien de la paix et des missions qui leur sont imparties. Le Conseil a ainsi créé la FINUL par sa résolution 425 du 19 mars 1978, avec pour mandat de « confirmer le retrait des forces israéliennes, de rétablir la paix et la sécurité internationales et d’aider le Gouvernement libanais à assurer la restauration de son autorité effective dans la région ». L’Assemblée générale a également été amenée à créer de telles opérations lorsque le Conseil s’est retrouvé bloqué par le veto de l’un de ses membres permanents.

Le mandat des opérations de maintien de la paix est susceptible de recouvrir une étendue très variable, même s’il faut constater au cours des décennies un mouvement constant d’extension. La première génération de mandats visait uniquement à interposer une force militaire neutre entre les belligérants pour contenir les hostilités. Les prérogatives de ces missions étaient limitées et se bornaient à peu de choses près à la présence sur place et à l’observation. Les générations suivantes ont conduit à un élargissement significatif de ces prérogatives pour inclure des missions de protection humanitaire, de maintien de l’ordre, de stabilisation politique, d’organisation d’élections et, parfois, de reconstruction des États.

Comment est encadrée l’action des Casques bleus ?

L’action des Casques bleus s’inscrivait initialement dans le cadre consensuel du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies. Elle reposait alors sur la conjonction de trois principes fondamentaux : le consentement des belligérants, l’impartialité de l’opération et le non-recours à la force. Pour faire face à de nouveaux types de conflits et à l’émergence de nouveaux enjeux, le Conseil en est venu à inscrire certaines opérations dans le cadre beaucoup plus coercitif du Chapitre VII, qui autorise notamment le déploiement d’opérations sans le consentement des belligérants et l’emploi de la force armée pour assurer la réalisation du mandat. Si bien que les Casques bleus opèrent désormais dans ces cadres juridiques divers, ce qui rend difficile l’appréhension exacte de leur rôle dans les différents conflits, ainsi que leur régime juridique. La question se pose actuellement à propos de la FINUL, dont le gouvernement israélien a demandé un retrait au-delà de la ligne de front. Toutefois, plusieurs raisons amènent dans ce cas à constater que la présence sur place de Casques bleus ne saurait dépendre de la volonté israélienne : d’abord parce que la FINUL est stationnée sur le seul territoire du Liban et ensuite parce que la résolution 2749 du 28 août 2024, qui a prolongé son mandat, se fonde sur le Chapitre VII de la Charte, excluant dès lors tout rôle de la volonté unilatérale d’un État. Un éventuel retrait de la FINUL ne peut dans ces conditions dépendre que de la décision du Conseil de sécurité de mettre fin au mandat de la force, ce que ses membres ne semblent pas prêts à faire.

D’autres difficultés, pour finir, émaillent le statut juridique des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. La double allégeance hiérarchique des Casques bleus – membres de forces armées étatiques mis à la disposition d’une organisation internationale – soulève d’importantes difficultés pratiques, qui touchent à la fois au droit applicable, à la chaîne de commandement et à la répartition des responsabilités entre l’État d’origine et l’Organisation elle-même. Ces difficultés ont été au cœur de la plupart des reproches adressés aux Casques bleus, de l’ex-Yougoslavie à la République centrafricaine, en passant par le Rwanda et Haïti. Ces échecs ont puissamment porté atteinte au crédit qui avait valu aux opérations des Nations Unies le prix Nobel de la paix en 1988. Restaurer cette crédibilité sera l’un des enjeux importants des années à venir pour les Nations Unies, dans un contexte qui ne fait que rappeler l’importance que revêt pour le monde un système efficace de sécurité collective.