Par Didier Rebut, professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris et membre du Club des juristes

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a parlé de possibles crimes de guerre à propos des deux bombardements israéliens sur le camp de réfugiés de Jabaliya. Comment définir ce concept ?

Les crimes de guerre, comme l’expression l’indique, sont des infractions susceptibles d’être commises dans la conduite de la guerre. Ils sont généralement définis comme les violations des lois et coutumes de la guerre. Ils trouvent leur origine et leur fondement dans le droit international, notamment les quatre Conventions de Genève de 1949 qui ont vocation à protéger les victimes des conflits armés. Ces conventions et leurs protocoles additionnels forment ce que l’on appelle le droit international humanitaire. C’est ce droit qui interdit, par exemple, d’attaquer intentionnellement des populations civiles ou des biens de caractère civil dans des conflits armés.

Comment et par quelle juridiction peut-être puni un crime de guerre ?

La répression pénale des crimes de guerre peut être le fait d’une juridiction pénale internationale si celle-ci a compétence pour cela. Le Tribunal militaire international de Nuremberg avait ainsi compétence pour poursuivre et juger les crimes de guerre commis par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. La Cour pénale internationale a compétence pour poursuivre et juger les crimes de guerre qui ont été commis sur le territoire d’un État qui est partie d’un statut ou qui ont été commis par un ressortissant d’un État partie à son statut. Dans ces hypothèses, les personnes poursuivies encourent les peines prévues pour les crimes de guerre par le statut de la juridiction pénale internationale en cause. Concernant la CPI, les peines encourues pour crimes de guerre sont la réclusion criminelle de 30 ans et la réclusion criminelle à perpétuité « si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ». Ces peines sont celles dont seraient passibles les personnes poursuivies dans le cadre de la guerre opposant Israël et le Hamas si la CPI se reconnaissait compétente et exerçait des poursuites.

La répression pénale des crimes de guerre peut aussi être le fait des États si ces crimes entrent dans leur cas de compétence pénale. Dans cette hypothèse, les peines encourues sont celles prévues par la législation de cet État. La France est, par exemple, susceptible d’être compétente pour les crimes de guerre commis dans le cadre de ce conflit au titre de sa compétence personnelle passive qui l’autorise à poursuivre et à juger les auteurs étrangers de crimes et délits contre des français à l’étranger. Ces auteurs encourraient donc les peines prévues par le droit français pour les crimes de guerre, lesquelles varient en fonction de ces crimes mais sont souvent la réclusion criminelle à perpétuité.

Quels sont les motifs mis en avant par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU pour utiliser le terme de crimes de guerre à propos des bombardements du camp de réfugiés de Jabaliya ?

La déclaration du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a été faite sur le réseau X. Elle n’est pas affirmative au sens où le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU n’a pas dit que ces bombardements constituaient des crimes de guerre. Il a déclaré que cette qualification pouvait être envisagée au regard du très grand nombre de victimes civiles et de l’ampleur des destructions occasionnées. Il a expliqué que ce très grand nombre et cette ampleur pouvaient faire considérer ces attaques comme disproportionnées, ce qui est susceptible de les faire qualifier de crimes de guerre au regard de l’article 51 du Protocole I aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et de l’article 8 § 2 b) iv du statut de la CPI.

Ce crime de guerre introduit une limite à une attaque poursuivant un objectif militaire. Cette limite réside dans la proportionnalité entre les pertes et dommages susceptibles de résulter de l’attaque et l’avantage militaire recherché. Une attaque disproportionnée, c’est-à-dire qui occasionne des pertes ou des dommages sans rapport avec cet avantage, est constitutive de crime de guerre.

C’est la question que soulèvent les bombardements israéliens sur le camp de réfugiés de Jabaliya en raison du grand nombre de victimes civiles et de l’ampleur des destructions qu’ils ont causés.

Israël a fait savoir que ces bombardements avaient pour objectif de tuer l’un des hauts dirigeants du Hamas et que cet objectif aurait été atteint. Cela ne justifie-t-il pas ces bombardements alors qu’on s’accorde sur le droit de l’État d’Israël de se défendre contre l’agression dont il a été victime ?

Le droit de l’État d’Israël de se défendre contre l’agression dont il a été victime le 7 octobre ne souffre pas de contestation. Son attaque de la bande de Gaza aux fins d’affrontement avec le Hamas qui s’y trouve relève de ce droit et ne saurait donc être qualifiée de crime de guerre ou d’agression. Ce droit de légitime défense n’est cependant pas sans limite au sens où il ne saurait justifier tous les bombardements et plus généralement toutes les formes de ripostes qui pourraient être ordonnés dans le cadre des combats avec le Hamas.

En l’occurrence, il s’agit au préalable de déterminer si ces bombardements avaient un objectif militaire ou s’il s’agissait de représailles aux massacres du 7 octobre. Des bombardements aux fins de représailles seraient en effet susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre compte-tenu de leur absence d’objectif militaire dans le cadre du conflit opposant Israël au Hamas dans la bande de Gaza. En revanche, des bombardements poursuivant un objectif militaire ne sont pas susceptibles d’être en eux-mêmes constitutifs de crimes de guerre du fait même de cette finalité militaire.

C’est bien ce que souligne Tsahal. Si ces bombardements ont visé à tuer un haut responsable du Hamas ayant participé à l’organisation des massacres commis le 7 octobre, ce haut responsable continuait semble-t-il de commander les troupes du Hamas dans leurs combats présents contre l’armée israélienne. Si c’est bien le cas, cela conduit à reconnaître une nature militaire aux bombardements ayant visé à le tuer. Dans cette mesure, on peut considérer que les bombardements du camp de réfugiés de Jabaliya avaient un objectif militaire au sens du droit des conflits armés.

Mais ces bombardements ont causé de nombreuses victimes civiles et de grandes destructions, ce qui pose la question – comme l’a fait le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU – du respect de la condition de proportionnalité s’appliquant aux attaques contre des objectifs militaires. Il est difficile de trancher cette question qui relève d’une appréciation concrète entre l’importance de l’objectif militaire poursuivi et le nombre de victimes et l’ampleur des destructions qui en est résulté. Cette appréciation est susceptible de différer selon le point de vue adopté.

Israël peut faire valoir que cet objectif avait une grande importance puisqu’il visait un chef militaire du Hamas qui commandait les troupes qui combattent son armée, de sorte que son élimination est en mesure d’affaiblir le Hamas. À l’inverse, ceux qui contestent ces bombardements peuvent soutenir que l’élimination d’un chef militaire ne justifie pas de tuer pour cela de nombreuses victimes civiles. Le rôle de ce chef militaire, son importance dans l’organisation du Hamas, le fait qu’il choisisse délibérément de s’abriter parmi les populations civiles, sont autant de facteurs à prendre en considération. La question de savoir si les bombardements du camp de Jabaliya étaient proportionnés par rapport à l’avantage militaire que l’armée israélienne en escomptait ne pourrait donc être résolue que par la juridiction qui en serait éventuellement saisie.

Que dit le droit international sur le fait pour un chef militaire de se mêler à la population civile ?

L’article 4 de la Quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre stipule que les personnes protégées sont celles « qui se trouvent au pouvoir d’une Partie ou d’une Puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes ». Il en découle que la protection de la population civile prévue par cette Convention ne s’applique pas aux faits commis contre une population civile ayant la même nationalité que leurs auteurs.

Si le fait d’utiliser des « boucliers humains » est susceptible d’être constitutif d’un crime de guerre, ce que prévoit l’article 8 § 2 xxiii du statut de la CPI, cette qualification est donc a priori réservée au cas d’une différence de nationalité entre les auteurs de cette utilisation et la population civile utilisée. Certes, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la CPI ont admis que des crimes de guerre puissent être commis sur une population civile ayant la même nationalité que leurs auteurs. Mais cette application a été faite sur le critère d’une allégeance à la partie ennemie, ce qui n’est pas applicable à la population civile de la bande de Gaza laquelle n’a pas prêté d’allégeance à Israël.

Il s’ensuit que l’utilisation éventuelle par les chefs du Hamas de la population civile de la bande de Gaza comme bouclier de protection contre les attaques dont ils pourraient être l’objet n’est pas, en l’état actuel du droit des conflits armés, constitutifs d’un crime de guerre de leur part même s’il s’agit certainement d’un fait contraire au droit international humanitaire.