Cessez-le-feu à Gaza : une résolution du Conseil de sécurité à portée limitée
Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies, paralysé par les fractures entre ses membres permanents, renvoyait l’image d’un organe impuissant. Au point qu’aucune résolution appelant à une simple suspension des hostilités n’avait pu être adoptée. Après cinq vetos sur différents projets, la résolution 2728 vient enfin d’exiger un cessez-le-feu immédiat – jusqu’à la fin du ramadan. Si la portée du texte doit sans doute être relativisée, il témoigne d’une évolution de la position américaine.
Par Menent Savas-Cazala, maître de conférences agrégée en Relations Internationales à l’Université Galatasary et Julian Fernandez, professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas, aujourd’hui en détachement à l’Université Galatasaray.
Comment a été adoptée la résolution 2728 et que dit-elle ?
Neuf projets de résolution avaient été soumis au vote du Conseil depuis le 7 octobre, les deux seuls adoptés [2712 (2023) et 2720 (2023)]n’appelaient pas à un cessez-le-feu et le dernier blocage ici rencontré datait d’à peine trois jours avec un texte porté par les États-Unis mais rejeté par la Fédération de Russie et la Chine. Cette fois, ce sont les membres non permanents qui ont pris l’initiative. La démarche est assez exceptionnelle et souligne en creux l’affaissement des « P5 ». Soutenus par le monde arabe, les « P10 » sont parvenus à leur fin, même si le vote a dû être reporté de 48h pour répondre à d’ultimes demandes. La résolution 2728 a finalement réuni 14 voix pour et une abstention (États-Unis). Elle a été adoptée sous les applaudissements et les réactions enthousiastes de la plupart des membres, la Slovénie parlant notamment d’un « jour à marquer d’une pierre blanche ». Ce succès doit probablement beaucoup à la situation dramatique à Rafah, au souhait de Joe Biden, en campagne, de se démarquer de Benyamin Netanyahou, et à la volonté de soutenir l’action diplomatique menée par l’Égypte, les États-Unis et le Qatar – à laquelle le préambule de la résolution fait d’ailleurs référence.
La résolution 2728 est particulièrement brève. Elle se compose de seulement deux articles, Le texte exige un cessez-le-feu à Gaza pour le reste du mois de Ramadan (du 11 mars au 9 avril, à Gaza), la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages, ainsi que le respect des obligations des parties en vertu du droit international à l’égard de toutes les personnes qu’elles détiennent. De plus, elle réitère la demande de lever toutes les barrières à la fourniture d’une assistance humanitaire à grande échelle. Trois éléments sont significatifs : le texte fait référence à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » – qui puisse mener à un cessez-le-feu « durable » – plutôt qu’à un « cessez-le-feu permanent », cette dernière expression étant favorisée par la Russie qui n’a reçu le soutien que de l’Algérie et de la Chine sur ce point (abstention de 11 membres, vote contre des Etats-Unis) ; le texte ne conditionne pas le cessez-le-feu exigé à la libération des otages ; le texte ne dit pas un mot du Hamas.
La résolution 2728 est-elle contraignante ?
La capacité de la résolution 2728 de produire des effets juridiques contraignants sur les parties au conflit a été immédiatement discutée. Lors de son discours au Conseil de sécurité, l’ambassadrice américaine, Linda Thomas-Greenfield, a souligné la nature non-contraignante de la résolution 2728. Le porte-parole du Département d’Etat des Etats-Unis, Matthew Miller, est également intervenu en ce sens, justifiant ainsi l’absence de veto de Washington. Il estime ainsi que « le langage utilisé était conforme à la position de longue date des États-Unis ». De même, le coordinateur de la sécurité nationale à la Maison-Blanche, John Kirby, a évoqué l’absence d’effet obligatoire de la résolution, affirmant qu’elle ne pourrait avoir « aucun impact sur Israël et la capacité d’Israël de poursuivre le Hamas ». Il est vrai que la résolution adoptée ne se place pas sous l’empire du Chapitre VII de la Charte et n’emploie pas le terme « décide ». Est-ce pour autant rédhibitoire ? Nullement. Mais ce n’est pas anodin.
Conformément à l’article 25 de la Charte de l’ONU, en effet, « les membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ». La référence au chapitre VII n’est pas spécialement exigée, même si l’usage est souvent de s’y référer. Surtout, dans son avis consultatif sur les conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie nonobstant la résolution 276 du Conseil (21 juin 1971), la Cour internationale de Justice considère que « l’article 25 ne se limite pas aux décisions concernant des mesures coercitives mais s’applique aux ‘‘décisions du Conseil de sécurité’’ adoptées conformément à la Charte ». Elle rappelle également qu’« il faut soigneusement analyser le libellé d’une résolution du Conseil de sécurité avant de pouvoir conclure à son effet obligatoire ».
Tout dépend en réalité des termes même de la résolution. En l’occurrence, que le Conseil « exige » de toutes les parties – y compris du Hamas donc – un « cessez-le-feu » qu’il ne peut de toute façon « décider » ne saurait raisonnablement être interprété comme une simple recommandation ou exhortation. Au demeurant, tous les membres du Conseil de sécurité, à l’exception des Etats-Unis et de la Corée du Sud, reconnaissent la nature contraignante de la résolution 2728. Celle-ci renvoie aussi à des obligations de droit humanitaire consacrées par bien d’autres instruments et opposables aux acteurs ici visés. Mais l’équivoque entretenue permet à chacun de nourrir son récit. Elle n’est pas nouvelle, on se souvient de discussions comparables lors de l’adoption de la résolution 1701 sur le renforcement de la FINUL (31 août 2023) – une résolution qui ne mentionnait pas non plus le chapitre VII. Dans ces deux hypothèses, les résolutions n’auraient probablement pas été votées si l’on avait voulu le mentionner. L’ambiguïté « constructive » joue toujours un rôle significatif dans la recherche d’un compromis acceptable…
Doit-on y voir une bascule dans la relation entre les Etats-Unis et Israël ?
La relation spéciale entre les États-Unis et Israël est bien connue. Elle repose sur une alliance stratégique et politique étroite, fondée sur des liens historiques, culturels, économiques et militaires profonds. Cette relation spéciale s’est renforcée au fil des décennies grâce à des intérêts communs, notamment en matière de sécurité régionale, de stabilité au Moyen-Orient et de promotion des valeurs démocratiques. L’influence prétendue de certains lobbys pro-israéliens sur l’engagement américain au Moyen-Orient a même être vivement dénoncée ces dernières décennies. Mais les États-Unis restent un partenaire fiable d’Israël sur la scène internationale, fournissant une aide économique et militaire substantielle, ainsi qu’un indéniable appui diplomatique et politique. Ils ont régulièrement utilisé leur influence pour défendre les intérêts et les positions d’Israël, notamment aux Nations Unies, où près de la moitié des vetos américains ont été utilisés concernant la « Situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne ».
Depuis le 7 octobre 2023, le président Biden doit cependant trouver une formule pour ne pas perdre les votes démocrates traditionnellement pro-israéliens, tout en tenant compte des positions, toujours plus nombreuses, favorables à la cause palestinienne. Ceci est d’autant plus crucial qu’il mène une campagne électorale contre un candidat ouvertement pro-israélien. A ce stade, les initiatives américaines, tel que le voyage du Secrétaire d’Etat Antony Blinken en Israël le 22 mars dans le but de discuter d’une trêve, n’ont pas eu les effets escomptés. L’abstention des Etats-Unis s’inscrit dans ce contexte. Elle a suscité de vives réactions en Israël, au moins de façade. Benjamin Netanyahu a ainsi annulé la visite d’une délégation à Washington et rappelé qu’une offensive vers Rafah est toujours une option pour le cabinet de guerre israélien. Mais si la résolution 2728 est un accroc dans la relation spéciale entre les Etats-Unis et Israël, à l’image de la résolution 2334 adoptée à la fin du mandat d’Obama (23 décembre 2016) exigeant d’Israël « qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard », il est douteux que Washington fasse le nécessaire pour contraindre son allié à respecter sur le terrain ces différentes résolutions. Les Etats-Unis s’opposeront certainement à toute sanction à l’encontre d’Israël si les exigences du Conseil de sécurité n’étaient pas respectées. Et le soutien américain ne faiblit pas sur des points autrement plus essentiels : 99% des armes importées en Israël viennent d’Allemagne et des Etats-Unis. Dans ces conditions, et même si elle représente une contrainte supplémentaire pour la politique extérieure israélienne, la résolution 2728 reste limitée dans sa capacité à garantir la suspension même temporaire des hostilités.