Par Raphaëlle Nollez Goldbach, Directrice de recherche au CNRS, directrice des études Droit et Administration publique à l’École Normale Supérieure

Quelles sanctions pour quels actes ?

Les sanctions américaines annoncées par le Secrétaire d’État américain, Marco Rubio, visent quatre juges de la CPI : l’ougandaise Solomy Balungi Bossa, la péruvienne Luz del Carmen Ibáñez Carranza, la béninoise Reine Alapini-Gansou et la slovène Beti Hohler. Les deux premières sont les seules membres encore en exercice de la Chambre d’appel ayant autorisé en 2020 l’ouverture d’une enquête en Afghanistan, qui vise notamment les actes de torture commis par des soldats américains et des membres de la CIA contre des prisonniers de guerre. Les deux autres juges ont, elles, autorisé l’émission des mandats d’arrêt, le 21 novembre 2024, contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et son ministre de la défense de l’époque, Yoav Gallant.

Ces quatre juges de la CPI ont ainsi été ajoutées à la liste des personnes frappées par des sanctions du Département du trésor américain (Office of Foreign Assets Control’s Specially Designated Nationals List). Elles sont désormais interdites de territoire américain et leurs avoirs – comptes bancaires, biens et autres fonds – gelés. Des sanctions moins anodines qu’il n’y paraît au premier abord car, compte tenu de la portée extraterritoriale que les États-Unis attachent à leur droit, elles peuvent s’étendre aux banques étrangères partout dans le monde, si elles détiennent une filiale ou une succursale américaine, ou lorsque la transaction s’effectue en dollars ou utilise le système financier américain. Les sanctions économiques adoptées par les États-Unis leur permettent même de sanctionner des entités sans lien direct avec les États-Unis, simplement en considérant que leurs activités constituent une menace pour la sécurité nationale américaine, comme le prévoit l’International Emergency Economic Powers Act (§ 1701). Plusieurs banques ont ainsi déjà été condamnées à payer des amendes s’élevant à plusieurs centaines de millions de dollars pour avoir maintenu ouverts des comptes bancaires de personnes sanctionnées par les Etats-Unis. Les conséquences pratiques peuvent donc s’avérer importantes pour les juges de la CPI sanctionnées, l’accès à leurs comptes bancaires et l‘utilisation de leurs fonds pouvant être empêchés, même en dehors des Etats-Unis.

Ces sanctions sont-elles inédites ?

Ces sanctions se fondent sur le décret (executive order) pris par Donald Trump le 6 février dernier, dans lequel il affirmait que “toute tentative de la CPI d’enquêter, d’arrêter, de détenir ou de poursuivre” des ressortissants américains ou de tout État allié non membre de la CPI constituait une menace à la sécurité nationale des États-Unis. Il y autorisait en conséquence les sanctions contre les personnels de la Cour – et leur famille – impliqués dans les enquêtes concernant les États-Unis et leurs alliés, allant jusqu’à étendre les sanctions aux personnes “qui aident et soutiennent financièrement, matériellement ou technologiquement la Cour, ou lui fournissent des biens ou des services”, visant ainsi ONG, avocats, conseillers, ou fournisseurs travaillant avec la Cour. Certaines ONG ont ainsi cessé de collaborer avec la CPI et certains membres américains de la Cour ont été mis en garde contre un risque d’arrestation s’ils rentraient dans leur pays, tandis que d’autres ont choisi de quitter la juridiction par peur des sanctions.

Ce décret du Président Trump, adopté lors d’une visite à Washington du Premier ministre israélien alors sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI, avait déjà permis aux États-Unis de prendre des sanctions contre le Procureur de la CPI, Karim Khan. Celui-ci a été empêché d’entrer aux États-Unis pour une réunion de l’ONU, a perdu l’accès à son email géré par Microsoft et a vu son compte bancaire gelé dans son pays d’origine, le Royaume-Uni.

Ces sanctions ne sont cependant pas une première. L’opposition américaine contre la CPI remontent à sa création même, puisque dès 2002 une loi avait été adoptée – the American Servicemembers’ Protection Act – autorisant le Président à utiliser “tous les moyens nécessaires” pour libérer les militaires ou officiels américains, ou ressortissant d’un État allié, qui seraient détenus à La Haye par la Cour. Surtout, en juin 2020, Donald Trump, qui venait d’être élu, avait ordonné pour la première fois de l’histoire de la justice pénale internationale, des sanctions à l’encontre de la Procureure de la CPI et des membres de son Bureau. Ces sanctions ont été finalement levées avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, en avril 2021, qui avait même entamé un début de coopération officielle avec la Cour, dans le cadre de l’enquête en Ukraine, en autorisant le partage des preuves collectées par les Etats-Unis, afin d’aider à poursuivre les responsables russes des crimes commis. Le revirement est donc radical avec la seconde mandature Trump et, au vu de l’intensification du conflit à Gaza et du déclenchement par Israël et les États-Unis d’une guerre contre l’Iran, il est à parier que les actions américaines contre la CPI iront grandissantes.