Archipel des Chagos : le Royaume-Uni reconnaît la souveraineté de l’île Maurice
Au terme d’un litige de plus d'un demi-siècle et de deux ans de négociations après une résolution de l’ONU, le Royaume-Uni et l’île Maurice ont trouvé un accord sur la souveraineté de l'archipel des Chagos le jeudi 3 octobre. Un exemple bienvenu de victoire du droit international.

Par Hélène Raspail, Professeur de droit public à Le Mans Université
Quelle était l’origine du contentieux opposant le Royaume-Uni à la République de Maurice ?
L’origine du contentieux opposant le Royaume-Uni à Maurice est ancienne. En tant que puissance coloniale depuis le début du XIXe siècle, le Royaume-Uni a pris des décisions contestables au moment des revendications indépendantistes mauriciennes. Entendant maintenir une présence stratégique à cet endroit du globe, et par la même occasion celle de son allié américain, il décide en 1965, tout en acceptant le principe de l’accession à l’indépendance de Maurice, d’en séparer l’archipel des Chagos qui restera territoire britannique. L’île de Diego Garcia est transformée en une base militaire américaine et, à cette fin, les populations locales sont déplacées. Ces familles déracinées, ainsi que Maurice devenu en 1968 un État indépendant mais dépecé d’une partie de son territoire, s’élèvent contre la position britannique. Près de soixante ans plus tard, le Royaume-Uni décide enfin de rétrocéder l’archipel. Quelques éclairages juridiques sont nécessaires pour comprendre ce qui a conduit à ce recul final et ses conséquences.
En quoi le comportement du Royaume-Uni était-il contraire au droit international ?
Le Royaume-Uni a vite admis que les droits fondamentaux des Chagossiens avaient été heurtés par son comportement qui s’était accompagné d’intimidations, de privations de libertés et de brutalités. L’État avait offert une réparation aux populations dans le cadre d’un accord avec Maurice (ce qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à repousser les demandes, considérant le dommage déjà réparé). Mais en droit international, ces transferts forcés de population menés avec violence dans le cadre d’une politique coloniale sont qualifiables de crimes contre l’humanité, ce que le Royaume-Uni n’a jamais officiellement reconnu.
L’administration du territoire était elle aussi contraire au droit international. Elle allait à l’encontre du droit des peuples à l’autodétermination. Il s’agit d’un principe général coutumier, obligatoire pour tous les Etats, en vertu duquel les peuples sous domination coloniale ont le droit de se prononcer librement sur leur propre sort et de choisir, s’ils le souhaitent, la voie de l’indépendance. Ce droit doit s’exercer dans le respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du pays (Résolution 1514 (XV) du 15 déc. 1960, Déclaration sur l’indépendance des pays et des peuples coloniaux, §6). Autrement dit, le droit international interdit de découper, au moment de l’accession à l’indépendance, ce qui constituait un ensemble sur le plan humain et géographique. Les limites du territoire non autonome sont prises comme référence et doivent être préservées : c’est le principe dit de l’uti possidetis juris. Le retranchement des Chagos de l’Île Maurice constituait donc une violation de ces règles de mise en œuvre du droit à l’autodétermination du peuple chagossien (Résolution 2066 (XX) du 16 déc. 1965, Question de l’île Maurice). En outre, au moment de l’indépendance, l’Etat s’était engagé envers les représentants des Chagossiens à une rétrocession de l’archipel et ne respectait donc pas les attentes légitimes qu’il avait fait naître.
Mais le Royaume-Uni, lié de son côté par un accord avec les américains au sujet de la base militaire, ne voulait pas revenir sur sa position, ce qui a conduit au gel de ce conflit.
Quel rôle ont joué les juridictions internationales dans le règlement de ce différend ?
Bien qu’aucun juge n’ait pu rendre de décision obligatoire à propos de la souveraineté sur les îles, la justice internationale a joué un rôle indéniable dans l’infléchissement de la position britannique. Elle a été très bien utilisée par l’équipe défendant la position de Maurice (dont le professeur Pierre Klein et l’avocat Philippe Sands).
Un tribunal arbitral constitué en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été appelé à se prononcer sur un différend connexe, concernant la création par le Royaume-Uni en 2010 d’une aire maritime protégée dans les eaux de l’archipel. Afin de dire si la création de cette aire était licite au regard du droit de la mer, il a pu reconnaître l’existence de l’engagement international du Royaume-Uni envers Maurice, lui donnant des droits sur les ressources naturelles et un droit à restitution des îles convoitées. Le tribunal a donc été habilement conduit à renforcer la position mauricienne.
Quant à la Cour internationale de justice (CIJ), organe judiciaire de l’ONU, elle n’a pas compétence obligatoire sans engagement des Etats en ce sens. Il n’en existait ici aucun permettant de lui soumettre la question de la souveraineté. Mais la CIJ peut également être saisie d’une demande d’avis consultatif par un organe onusien, ce qu’a fait L’Assemblée générale. En 2019, la Cour répond aux questions qui lui étaient posées, confirmant clairement que le processus de décolonisation n’avait pas été « validement mené à bien » en séparant l’archipel des Chagos à Maurice, et qu’il devait mettre fin à son administration au plus vite (CIJ, avis consultatif du 25 février 2019, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965). L’Assemblée générale des Nations Unies adopte alors une nouvelle résolution, donnant six mois aux britanniques pour se retirer. Ses avis, de même que les résolutions de l’Assemblée, n’ont cependant pas de valeur obligatoire.
Ingénieusement, un conflit de délimitation maritime avec les Maldives a alors servi de nouvelle base à Maurice pour amener une autre juridiction, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM), à se prononcer indirectement sur la question des Chagos. Le Tribunal a en effet conclu que Maurice était l’Etat côtier pouvant demander la délimitation du plateau continental partant des îles Chagos, alors même que le Royaume-Uni ne s’était pas encore retiré (TIDM, arrêt sur les exceptions préliminaires du 28 janvier 2021) Délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien).
En clarifiant l’état du droit international dans cette affaire et rendant la position britannique injustifiable, la justice internationale a ainsi grandement contribué à la rétrocession finale du 3 octobre.
Quelles sont les conséquences juridiques de cette rétrocession ?
Le rétablissement de la souveraineté de Maurice sur l’archipel est acquis mais il n’est pas sans laisser quelques questions en suspens. Les Chagossiens déplacés devraient pouvoir rentrer mais l’accord évoque que la base militaire américaine devra être préservée sur Diego Garcia. Les habitants des îles Chagos n’ont en outre pas été consultés et les voix de ceux qui auraient souhaité rester britanniques se sont déjà fait entendre. Certes il n’existe en droit international pas d’obligation spécifique en ce sens. Mais un retrait de leur nationalité britannique, sans droit d’option, pourrait paraitre arbitraire et donc contraire au droit international des droits de l’Homme.
Reste enfin l’impact sur d’autres différends qui soulèvent des questions parfois proches, comme celui des îles Falkland entre le Royaume-Uni et l’Argentine mais aussi, pour la France, les îles Matthew et Hunter disputées par le Vanuatu ou encore Mayotte que revendiquent Les Comores. Chacun de ces différends a toutefois ses propres spécificités et les réponses juridiques ici apportées ne leur sont pas nécessairement transposables. La méthode juridictionnelle employée a toutefois de quoi inspirer plus d’un juriste.