Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris

Où en est la poursuite pénale contre le maire de New-York, Eric Adams ?

Le maire de New-York, Eric Adams, a été mis en examen en septembre 2024 par un grand jury fédéral de Manhattan, qui l’a accusé de divers actes de corruption. Cet acte d’accusation est intervenu à un moment où d’autres procureurs envisageaient également de l’inculper. Plusieurs de ses proches collaborateurs ont également été mis en cause, et certains ont d’ailleurs plaidé coupable. La situation politique d’Eric Adams, dont le mandat expire en décembre – à moins d’être réélu en novembre – est préoccupante. Cette semaine, quatre de ses plus hauts collaborateurs ont démissionné.

Depuis l’élection de Donald Trump (Républicain) en novembre, Eric Adams (Démocrate) a engagé un effort très visible pour établir une relation avec lui. Incluant une visite au domicile de Trump en Floride avant l’investiture et une place près de Trump lors de la cérémonie d’investiture elle-même. Au point que certains ont imaginé qu’Eric Adams cherchait la grâce présidentielle de Donald Trump, ce que ce dernier a le pouvoir d’accorder.

Cependant, le 10 février, Emil Bove III, le numéro deux du département de la Justice et, jusqu’à récemment, avocat pénaliste personnel de Donald Trump, a ordonné au procureur fédéral de Manhattan, qui relève du département de la Justice, de demander l’abandon des poursuites contre Eric Adams. Il s’en est suivi une série d’événements extraordinaires : la procureure fédérale par intérim et plusieurs membres seniors de son équipe, ainsi que d’autres responsables du département de la Justice, ont affirmé que le dossier contre Eric Adams était solide et qu’ils étaient prêts à aller au procès. Ils ont annoncé qu’ils démissionneraient plutôt que d’exécuter l’ordre d’abandonner les poursuites. En particulier, ils ont soutenu que l’abandon de l’acte d’accusation constituerait un acte « politique » motivé par un accord de « quid pro quo » entre l’administration Trump et le maire Adams, par lequel ce dernier échapperait aux poursuites en échange de sa coopération avec l’agenda politique de Trump. Finalement, une requête en annulation a été déposée le vendredi 14 février, signée non pas par un membre du bureau du procureur fédéral à Manhattan, mais par M. Bove lui-même.

Le 19 février, le juge Dale E. Ho, du tribunal fédéral de Manhattan, a tenu une audience sur cette demande de rejet. M. Bove, parlant au nom du ministère de la Justice, a soutenu que la décision de poursuivre ou non Eric Adams relevait du pouvoir discrétionnaire du parquet, auquel le tribunal devait se conformer. Eric Adams et son avocat ont, sans surprise, appuyé cette position. Étant les seules parties présentes à l’audience, aucun autre point de vue n’a été plaidé, mais deux groupes d’amici curiae (« amis de la cour ») avaient déposé des mémoires écrits. Ces mémoires exhortaient le juge Ho à organiser une audience pour examiner la « bonne foi » de la demande d’abandon des poursuites, et l’un d’entre eux demandait en outre la nomination d’un « procureur spécial » pour reprendre l’affaire.

Quels sont les enjeux juridiques dans cette affaire ?

La requête en abandon des poursuites a été déposée en vertu de la Rule 48(a) des Règles Fédérales de Procédure Pénale. Cette règle permet à un procureur de « retirer un acte d’accusation », même voté par un grand jury, mais uniquement « avec l’accord du tribunal ». Ainsi, l’acte d’accusation contre le maire Adams reste en vigueur tant que le juge Ho n’a pas formellement autorisé son abandon. Si le texte de la Règle 48 semble donner au juge une certaine latitude pour examiner la requête, en réalité, il ne le fait pas : les tribunaux, y compris la Cour suprême, ont interprété cette règle de manière très stricte, n’autorisant un rejet que dans des circonstances exceptionnelles.

Le principe fondamental est que la décision de poursuivre – ou de ne pas poursuivre – appartient entièrement au procureur, dont les décisions ne sont pas soumises à un contrôle judiciaire, même si un juge estime qu’elles ne servent pas l’intérêt public. La jurisprudence n’est cependant pas claire sur les circonstances pouvant justifier une exception à cette règle générale. Les amici curiae soutiennent que la tentative d’un procureur au service de l’administration Trump d’annuler le travail de l’administration précédente dans un but politique – et de protéger une personne contre laquelle, selon eux, les preuves de corruption sont solides – constitue une « politisation inacceptable » du système judiciaire.

Lors de l’audience de mercredi, le juge Ho a reconnu la complexité de la question et a demandé de la « patience » avant de rendre sa décision.

Que va-t-il se passer désormais ?

Si la jurisprudence en la matière n’est pas claire, certains points le sont :

Premièrement, le maire Adams ne sera pas jugé, du moins dans un avenir proche, car le procureur a décidé de ne pas poursuivre, et il n’existe aucun mécanisme procédural permettant à un juge d’obliger un procureur à le faire. À cet égard, la procédure pénale américaine diffère considérablement de la procédure française, où un procureur peut être tenu de poursuivre un procès si un juge d’instruction l’a ordonné, même contre son avis. Il n’existe ni loi ni règle permettant au juge Ho de nommer un « procureur spécial ».

Deuxièmement, le juge Ho peut décider si l’abandon des poursuites est « sans préjudice », ce qui laisserait la possibilité de relancer la poursuite ultérieurement à la discrétion du parquet, ou « avec préjudice », ce qui interdirait définitivement au DOJ de poursuivre Adams sur ces charges.
La requête du parquet demande un abandon « sans préjudice », mais cela alimente l’hypothèse que l’abandon est motivé par des considérations politiques visant à maintenir une pression sur Adams pour l’influencer. Le juge Ho pourrait donc exiger un abandon « avec préjudice », permettant ainsi à un responsable public potentiellement corrompu d’échapper à la justice.

Enfin, le juge Ho pourrait exiger davantage d’informations sur les circonstances entourant cette décision, notamment en entendant les procureurs qui ont dénoncé un possible « deal » politique. Quelle que soit la décision du juge Ho, elle pourrait faire l’objet d’un appel. Mais une chose est sûre : cette affaire projette une image très sombre de la justice pénale américaine.