Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris

Quelles sont les accusations portées contre M. Adams ?

La semaine dernière, le procureur fédéral de Manhattan a formellement accusé le maire démocrate de la Ville de New York, Eric Adams, de corruption et de violations des lois sur le financement des campagnes électorales. Le procureur allègue que, lors de sa campagne pour la mairie en 2021, M. Adams a sollicité des contributions illégales de la part de ressortissants étrangers (notamment en Turquie), et qu’il a accepté des cadeaux de luxe et des voyages en échange de faveurs politiques. Ces faveurs auraient inclus la pression exercée sur des responsables municipaux pour approuver des projets bénéficiant à ses donateurs étrangers. Le procureur affirme également que M. Adams a contourné les lois fédérales sur le financement des campagnes électorales en obtenant frauduleusement plus de 10 millions de dollars de fonds publics pour sa campagne.

Quel est le statut procédural de l’affaire ?

Les accusations résultent d’une enquête menée par le procureur fédéral, qui dure depuis au moins un an. Pendant cette période, M. Adams et son administration ont reçu de nombreuses demandes d’informations, et Adams a notamment dû remettre son téléphone portable personnel. La semaine dernière, le procureur a officiellement déposé un « indictment », un document de 57 pages qui énonce les charges retenues contre Adams. Conformément à la procédure fédérale, le procureur a présenté des preuves à un « grand jury » composé de citoyens dont la signature sur l’acte d’accusation certifie que des preuves suffisantes pour justifier les accusations leur ont été présentées, mais ces charges n’ont pas été examinées par un juge. Le dépôt d’un indictment n’équivaut donc pas au statut de « mis en examen » en France, car aucune autre démarche n’est nécessaire pour que l’affaire soit renvoyée en jugement.

Les avocats de M. Adams se sont présentés le 2 octobre devant le juge en charge de l’affaire pour demander l’annulation de l’acte d’accusation en invoquant plusieurs irrégularités procédurales. Selon les comptes rendus de presse des débats devant la Cour, il semble peu probable que ces accusations soient rejetées. Certaines questions juridiques complexes subsistent quant à l’application de la loi fédérale sur la corruption aux « cadeaux » tels que des privilèges de voyage ou des hébergements gratuits, à moins qu’il ne soit prouvé que ces cadeaux aient été offerts en échange direct (« quid pro quo ») d’une décision spécifique bénéfique pour le donateur. En revanche, selon la procédure pénale américaine, le juge n’a pratiquement aucun pouvoir pour déterminer si M. Adams est réellement coupable ou non des faits qui lui sont reprochés – seul un jury populaire peut prendre cette décision. L’issue la plus probable est donc un procès public où le procureur présentera les preuves en faisant témoigner des témoins et en partageant des documents avec un jury populaire, probablement l’année prochaine. M.Adams pourra contester la solidité de ces preuves, témoigner s’il le souhaite, ou simplement argumenter que le procureur n’aura pas prouvé sa culpabilité « au-delà de tout doute raisonnable ». Une condamnation de M. Adams pour l’une des accusations pourrait être révisée par une cour d’appel pour des erreurs de procédure, mais les juges d’appel ne réexamineront pas la question fondamentale de sa culpabilité. Un acquittement, en revanche, serait définitif et ne pourrait être contesté par le procureur.

Quelles sont les implications politiques de cette procédure ?

La situation est très complexe, car d’autres accusations pourraient être portées contre M.Adams. Lors de l’audience du 2 octobre, le procureur a déclaré que l’enquête se poursuivait et pourrait aboutir à de nouvelles inculpations. En outre, au moins trois autres enquêtes concernant M. Adams et son administration sont en cours, notamment dans un autre district du parquet fédéral et dans celui du procureur du district de Manhattan, qui applique les lois de l’État de New York et travaille indépendamment de ses homologues fédéraux. Ces enquêtes ont déjà causé une perturbation considérable dans les activités du maire de New York, un poste souvent décrit comme « le poste le plus difficile d’Amérique à part la Présidence ». De nombreux collaborateurs politiques de M. Adams font également l’objet d’enquêtes, et plusieurs d’entre eux, dont le chef de la police et le directeur du système scolaire, ont démissionné. M. Adams a déclaré qu’il ne démissionnerait pas. Le dépôt de charges formelles contre lui, voire une condamnation, n’entraînerait pas automatiquement sa destitution. Le gouverneur de l’État de New York a le pouvoir, en vertu d’une disposition rarement utilisée, de déclencher une procédure de révocation de M. Adams de ses fonctions de maire, mais la gouverneure Kathy Hochul n’a pas encore indiqué si elle compte le faire. Cette situation ne devrait pas avoir d’impact significatif sur la campagne présidentielle américaine, car elle reste très locale. Bien que M. Adams soit membre du Parti démocrate, comme Kamala Harris, il n’a pas de lien particulier avec elle et n’a pas joué un rôle actif dans sa campagne.