Par Benjamin MONTELS, Avocat au Barreau de Paris et Maître de conférences (HDR) à l’Université de Rennes
148 jours de grève, mais pour arriver à un Accord approuvé, le 9 octobre dernier, par 99% des scénaristes de la WGA (Writers Guild of America), soit 8435 yes parmi les votes contre 90 no seulement, cela démontre la force de la négociation collective ! Outre qu’aucune loi ne recueille jamais un tel niveau d’acceptation, il aurait fallu beaucoup plus que 5 mois au législateur pour adapter les textes à l’évolution technologique, en l’occurrence la prédominance aujourd’hui des plateformes de streaming et la place demain de l’intelligence artificielle (IA) dans la création.

Cette importance donnée à la négociation collective est le premier point commun entre le droit américain et le droit français de l’audiovisuel. En effet, bien que les auteurs français n’aient pas la qualité de salarié, il a été instauré depuis 2006 dans Code de la propriété intellectuelle (CPI) un mécanisme sui generis d’extension des accords professionnels par arrêté ministériel qui les rend obligatoires pour « l’ensemble des intéressés » (CPI, art. L. 132-25-1 et L. 132-25-2), même les non-signataires, sur le modèle de ce qui existe en matière de convention collective de droit du travail.

Ainsi, contrairement à la présentation réductrice que l’on en fait généralement, Copyright américain et Droit d’auteur français présentent beaucoup de convergences dans l’audiovisuel, comme l’illustre encore ce récent Accord intitulé 2023 MBA (Minimum Basic Agreement) et valable pour les trois prochaines années.

Quels points communs entre cet Accord et le Droit d’auteur français ?

Le nouvel Accord vient augmenter les residuals qui sont versés en fonction de la diffusion des œuvres, en particulier par les services sur abonnement qui désormais tiendront compte du nombre d’abonnés à l’international et pourront être redevables d’un bonus basé sur l’audience, ce qui obligera les streamers à transmettre certaines de leurs données. Le scénariste américain est donc de plus en plus associé au succès de son œuvre, à l’instar de la règle de la rémunération proportionnelle de l’auteur instaurée depuis 1957 en droit français (CPI, art. L. 131-4) et qui a été étendue par la directive de 2019 sur le marché unique numérique à l’ensemble des Etats membres de l’UE.

De même, si l’Accord impose plus de transparence aux plateformes numériques, c’est à l’image de ce qui existe déjà dans notre droit (CPI, art. L. 132-28-1), qui a toujours considéré que l’efficacité d’une participation aux recettes nécessite une obligation de remise des comptes d’exploitation. Le syndicat américain a donc obtenu un système de rétribution des plateformes qui soit davantage basé sur le nombre réel de visionnages, ce que les Organismes de gestion collective (OGC) français leur ont imposé dès leur installation en France, le premier accord SACD-Netflix datant de 2014 avant que Disney+ et Amazon Prime Video suivent en signant des contrats rétroactifs.

En quoi le Copyright américain influence-t-il aussi le Droit d’auteur français ?

Le nouvel Accord prévoit également une revalorisation des rémunérations minimales versées aux scénaristes au cours de l’écriture. Ces derniers ayant la qualité de salarié du producteur aux Etats-Unis, l’existence de minimas n’étonnera guère. En revanche, bien que les scénaristes français perçoivent aussi des rémunérations forfaitaires (qui prennent le nom de « minimum garanti » ou de « prime de commande », la seconde n’étant pas récupérable sur les recettes), ils continuent d’exercer cette activité créative de manière indépendante. Il n’existait donc aucun « barème » de rémunération en droit d’auteur jusqu’à ce que trois accords, que beaucoup qualifient d’historiques pour le secteur, viennent déterminer en 2023 les premières rémunérations minimales pour l’écriture dans les domaines du documentaire (accord du 23 janvier 2023), de la fiction (accord du 22 mars 2023) et de l’animation (accord du 15 juin 2023), ceux-ci ayant tous fait l’objet d’un arrêté d’extension (voir supra) et ont encore été complétés récemment par un accord au bénéfice des réalisateurs de fiction (accord du 15 septembre 2023). Ces accords s’inspirent manifestement des MBA américains, mais tout en préservant la spécificité française qui refuse de faire des scénaristes des employés du producteur dénués de toute qualité d’auteur en application de la qualification de Work made for hire (« travail fait sur engagement ») de la loi sur le Copyright.

Mais, l’influence la plus importante que devrait avoir le nouvel Accord signé aux Etats-Unis concerne l’autre grand volet des négociations, à savoir la régulation de l’IA. Il pose en effet quatre grands principes que l’on peut résumer ainsi : l’IA ne peut avoir la qualité d’auteur d’un texte et le contenu généré par l’IA ne pourra restreindre les droits d’un scénariste ; un scénariste peut choisir d’utiliser l’IA, si le producteur y consent également, mais ce producteur ne peut exiger que le scénariste utilise l’IA ; le producteur doit informer le scénariste si des documents fournis ont été générés par l’IA ; la WGA se réserve le droit d’affirmer que l’exploitation des textes des scénaristes pour former l’IA est interdite. On le voit, loin de la caricature qui en est habituellement faite, cet Accord rappelle que le droit américain exige un créateur humain pour qu’une œuvre soit protégée, comme l’a réaffirmé la jurisprudence au détriment d’une image d’une « entrée récente au paradis » issue d’une IA.

Absence de protection

Par conséquent, cette absence de protection devrait inciter les auteurs et producteurs à privilégier des créations seulement « assistées » par l’IA et non pas intégralement générées par celle-ci. La technologie continuerait alors à aider les créateurs, par exemple en leur suggérant des idées (non protégeables faut-il le rappeler) ou en accélérant leurs recherches, mais sans jamais pouvoir les remplacer. Il ne faut pas non plus oublier les risques de contrefaçon des œuvres antérieures utilisées (les inputs dans le langage informatique…) qu’une trop forte autonomie laissée à la machine pourrait laisser craindre. Au demeurant, suivant à nouveau l’exemple de la WGA, la SACEM a annoncé exercer son droit d’opposition (opt-out) au profit des œuvres de ses membres, tentant ainsi de contrecarrer une exception autorisant la « fouille de textes et de données » (Text and data mining ou TDM) qui a été prescrite par le législateur européen en 2019 et est déjà remise en cause face à l’essor de l’IA dite « générative » (IAG) mais pas pour autant « créative ».

Ainsi, dans le secteur audiovisuel, le Copyright américain et le Droit d’auteur français ont su jusqu’ici prendre le « meilleur des deux mondes » : une rémunération forfaitaire sous forme de minimas plus un intéressement aux recettes d’exploitation perçu par un organisme qui les représente collectivement. Il reste à espérer qu’il en sera de même prochainement avec l’utilisation de l’IA dans la création qui, sans être bien évidemment interdite, doit être encadrée comme vient de le démontrer cet Accord pionnier conclu au pays de ChatGPT.