Une loi de finances pour 2025. Enfin !
Le budget 2025 a été définitivement adopté par le Parlement grâce à l’article 49 alinéa 3 et au rejet assez net d’une motion de censure. Moins ambitieux sur la trajectoire budgétaire que le projet initial de Michel Barnier, le texte est le fruit d’un compromis. Si le Conseil constitutionnel a été saisi du texte et qu’il faut s’attendre à la neutralisation de certaines dispositions, la loi de finances devrait permettre de sortir du fonctionnement minimum qu’imposait la loi de finances spéciale.

Par Alexandre Guigue, Professeur de droit public à l’Université Savoie Mont Blanc, Centre de recherche en droit Antoine Favre et Membre de la Chaire Droit et politique comparés – Université Jean Monnet Saint-Etienne
La fin d’un feuilleton politique inédit
Le feuilleton a commencé avec le dépôt en retard du projet de loi de finances par le gouvernement Barnier le 10 octobre 2024, en raison du temps pris par le Président de la République pour nommer un nouveau Premier ministre après les élections législatives du mois de juillet. Face à une Assemblée nationale divisée en trois blocs, le Premier ministre n’a eu d’autre choix que de mettre la confiance de son gouvernement à l’épreuve sur les deux grands textes financiers en discussion. Le recours à l’article 49, alinéa 3, pour forcer l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale a conduit au vote positif d’une motion de censure par 331 députés le 4 décembre 2024. Après la présentation de la démission du gouvernement et alors que l’avenir des textes en discussion apparaissait suspendu, le Président de la République a annoncé que le nouveau gouvernement déposerait un projet de loi de finances spéciale avant le 19 décembre afin d’assurer la continuité de la vie nationale (article 45 de la LOLF). Adoptée par le Parlement le 18 décembre à l’unanimité dans les deux assemblées, la loi spéciale est la deuxième du genre à être adoptée sous la Ve République après celle de décembre 1979. Outre le prélèvement des recettes, le texte autorise le recours à l’emprunt et le recouvrement par les régimes et organismes de sécurité sociale à des ressources non permanentes. Faute de saisine du Conseil constitutionnel, le texte est entré en vigueur le 1er janvier 2025 dans l’attente de l’adoption définitive d’un projet de loi de finances pour 2025. Cet épisode s’est ainsi achevé sans le recours aux ordonnances prévu par l’article 47 pour le cas où le Parlement ne se prononcerait pas dans un délai de 70 jours. Son adoption garantit, certes, la continuité de l’État et évite l’entrée dans une crise plus profonde, mais elle n’offre pas de garantie en vue de l’adoption du projet de loi de finances.
Après sa nomination par Emmanuel Macron, François Bayrou s’est attelé à la poursuite de la procédure budgétaire en reprenant le projet de loi de finances déposé par son prédécesseur mais en annonçant que celui-ci serait amendé dans le sens d’un compromis. Les discussions ont donc repris avec les différents groupes politiques en parallèle de la réouverture du chantier de la réforme des retraites pour une durée de trois mois. Le 23 janvier 2025, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi de finances, puis la version du projet de loi de financement de la Sécurité sociale préparé par la Commission mixte paritaire. Grâce à des négociations constructives avec le PS, la perspective de l’adoption d’un texte de compromis proposé par cette même Commission pour le projet de loi de finances initiale s’est alors précisée. Ce fut chose faite le 31 janvier 2025 avant un renvoi à l’assemblée. Assuré que les députés socialistes ne voteraient pas de motion de censure, le Premier ministre a immédiatement annoncé son intention d’avoir recours à l’article 49, alinéa 3, lors de la reprise de la discussion à l’Assemblée nationale le lundi 3 février. L’engagement de la responsabilité du gouvernement a porté à la fois sur le projet de loi de finances et sur la première partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Comme attendu, la première motion de censure déposée par 90 députés appartenant principalement au groupe La France Insoumise (LFI) a échoué en ne recueillant que 128 voix le mercredi 5 février (dont six socialistes). Une deuxième motion de censure, toujours déposée par des membres du groupe LFI, a été rejetée et n’a recueilli que 122 voix. Quelques heures plus tard, François Bayrou a eu de nouveau recours à l’article 49, alinéa 3, cette fois pour faire adopter la seconde partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Le jeudi 6 février, le Sénat a adopté à son tour le texte de la Commission mixte paritaire avant une saisine du Conseil constitutionnel dans la foulée par des parlementaires.
Quelle est la trajectoire budgétaire et financière de la France ?
Adoptée le 29 décembre 2023, la loi de finances pour 2024 tablait sur un déficit de 4,4 % du PIB. Dès le 21 février 2024, le Premier ministre avait annulé 10 milliards d’euros de crédits, montant qui épuisait presque le volume total des annulations autorisées par la loi organique de 2001 sur une année entière (1,5 % des crédits ouverts). La précipitation du gouvernement et l’ampleur de la mesure avaient inquiété. Elles avaient aussi posé la question de la sincérité de l’Exécutif qui avait connaissance de la dégradation du solde dès le mois de décembre 2023, en particulier du rendement plus faible que prévu de certaines recettes fiscales. Après un exercice 2023 difficile et un déficit qui s’est établi à 5,5 % du PIB, l’exercice budgétaire 2024 a poursuivi le dérapage. La loi de finances de fin de gestion du 6 décembre 2024 a dû annuler 5,6 milliards d’euros de crédits pour contenir le déficit à 6,1 % du PIB. Entre-temps, le 29 juillet 2024, une procédure pour déficit excessif a été ouverte par le Conseil de l’Union européenne contre la France.
Lorsque Michel Barnier s’est présenté devant la représentation nationale, peu de temps après sa nomination, il a annoncé des mesures difficiles pour faire face à une dégradation préoccupante. Son projet de loi de finances prévoyait ainsi de réduire le déficit public à 5 % du PIB en 2025, avec un redressement des comptes publics de l’ordre de 60 milliards d’euros. Le renversement de son gouvernement et l’adoption de la loi de finances spéciale n’ont fait que repousser le problème en précisant l’équation pour le nouveau gouvernement : prendre des mesures fortes pour redresser les finances publiques, mais en évitant une nouvelle censure. Lors de sa déclaration de politique générale, le nouveau Premier ministre François Bayrou a été obligé de faire des concessions et de se contenter de prévoir une réduction du déficit à 5,4 % du PIB. Dans l’article 41 dit d’« équilibre » de la loi de finances, le solde général s’établit à -139 milliards d’euros. Le gouvernement maintient l’objectif de réduire le déficit en dessous des 3 % du PIB en 2029 pour respecter la règle européenne. Il faut dire que la nouvelle d’un déficit d’exercice 2024 à 6,0 % au lieu de 6,1 % est apparue comme une rare bonne surprise dans un climat bien morose.
En attendant la décision du Conseil constitutionnel, il est important de rappeler l’avis rendu par le Haut conseil des finances publiques le 29 janvier 2025 au sujet de l’amendement des projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale. Il juge la prévision de croissance du gouvernement de 0,9 % « un peu élevée », le consensus des économistes étant à 0,7 %. Les prévisions de recettes lui paraissent, en conséquence, « un peu optimistes », ce qui offre au gouvernement peu de marges de sécurité. Quant à la dette publique, elle continue de s’aggraver de manière inquiétante. Elle s’est établie à 3303 milliards d’euros au troisième trimestre de 2024, soit 113,7 du PIB. La loi de finances pour 2025 prévoit qu’elle atteindra 115,4 % du PIB à la fin de l’année 2025. À ce rythme-là, les critères du Pacte de stabilité et de croissance paraissent de plus en plus lointains.