Par Sébastien Bernard, Professeur de droit public à l’Université Grenoble Alpes (Centre de Recherches Juridiques)

Dans quelles conditions est-il possible de révoquer le PDG d’une entreprise publique ?

L’article 20 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique prévoit une révocation par décret. Cette prérogative est naturellement à rapprocher du pouvoir de nomination qui relève également d’un décret en vertu de l’article 19 de la même ordonnance. Cet article dispose en effet que, dans les sociétés anonymes à conseil d’administration dont plus de la moitié du capital est détenue directement par l’Etat, le président-directeur-général est nommé « parmi les membres du conseil et sur proposition de ce dernier par décret ».

Comme EDF figure sur la liste de la loi organique (n° 2010-837 du 23 juillet 2010) à laquelle renvoie l’article 13 de la Constitution, c’est le Président de la République qui signe le décret mais, depuis la révision constitutionnelle de 2008, il ne peut le faire qu’après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée et si l’addition des votes négatifs dans chaque commission ne dépasse pas trois cinquièmes des suffrages exprimés.

D’un point de vue chronologique, le Président de la République fait donc d’abord part de son intention de nommer le dirigeant d’EDF. Puis, les commissions des deux assemblées se prononcent avant que le conseil d’administration de l’entreprise (au sein duquel le futur PDG a été nommé administrateur) formalise une proposition qui est suivie du décret présidentiel de nomination. Dans le cas – très rare – d’une révocation en cours de mandat, le processus est beaucoup plus simple puisque le décret intervient directement.

Dans quelle mesure cette révocation en cours de mandat est-elle révélatrice des relations entre l’État et EDF ?

Il y a eu quelques précédents, notamment à la suite d’alternances politiques mais, d’une manière générale, il est plutôt de coutume d’attendre la fin du mandat du dirigeant. En l’espèce, Luc Rémont a été nommé au mois de novembre 2022 et son mandat devait prendre fin au cours de l’été prochain. L’annonce, par un communiqué du 21 mars dernier, de l’intention du Président de la République de nommer M. Fontana (actuel directeur général de Framatome) PDG d’EDF témoigne d’une probable accélération de calendrier. Cette révocation est d’autant plus remarquable que la nomination de M. Rémont il y a moins de deux ans et demi s’était déjà faite dans un contexte de fortes tensions entre l’Etat et EDF qui avait conduit son prédécesseur, M. Lévy, peu de temps avant d’être remplacé à la tête de l’entreprise, à déposer un recours au nom de l’entreprise contre la décision de l’Etat d’imposer à EDF une augmentation des volumes d’électricité vendus à perte à ses concurrents (Conseil d’État, décision n° 462840, du 3 février 2023). Après cet épisode singulier consistant à ce qu’une entreprise très majoritairement détenue par l’Etat attaque ce dernier, la nomination de M. Rémont avait semblé ouvrir une nouvelle phase caractérisée à la fois par le rachat de l’intégralité du capital d’EDF par l’Etat et l’annonce du lancement de la construction de nouveaux EPR. Des divergences sont manifestement apparues rapidement entre l’Etat et le PDG d’EDF : dans l’entretien qu’il a donné au Figaro (24 mars 2025, p. 24) après l’annonce de son remplacement, M. Rémont a notamment évoqué deux différends : d’une part, sur le financement des nouveaux EPR – pour lequel il déplore un engagement insuffisant de l’Etat – et, d’autre part, sur la décision de mise aux enchères de nouveaux contrats de production nucléaire qui a fortement déplu à certains gros clients industriels d’EDF attachés à ne pas payer l’électricité trop chère. A ces désaccords de fond s’est ajoutée une déclaration – qui a sans doute irrité au sommet de l’Etat – dans laquelle M. Rémont avait évoqué au mois de décembre dernier « l’enfer d’investir en France »…   

Dans quelle mesure ces divergences et la conséquence qui en a été tirée concernant le mandat du PDG d’EDF sont-elles plus largement significatives de la difficulté de gestion d’une entreprise publique ?

Lorsque M. Rémont évoque « une certaine dégradation dans la capacité de l’Etat à concevoir le changement en intégrant l’économie d’entreprise, à prendre des décisions et à tenir à parole », cela renvoie à des débats bien connus des spécialistes du droit des entreprises publiques.

La gestion de ces dernières se caractérise en effet par une tension permanente entre leur propriété publique qui légitime l’intervention de l’Etat dans la détermination de leur stratégie et la nécessaire autonomie de gestion laissée à leurs dirigeants. Depuis une vingtaine d’années – et en particulier la création de l’Agence des Participations de l’Etat en 2004 – le sens de l’évolution contemporaine consiste à professionnaliser le rôle de l’Etat actionnaire et à s’efforcer de le distinguer des politiques publiques que ce dernier peut par ailleurs promouvoir. Ce qui vient de se passer et la dénonciation par M. Rémont du fait  « qu’une part importante de l’Etat considère que l’entreprise doit vivre sa mission en exécutant ses décisions d’une façon qui la rapproche d’une régie, ce qu’elle n’est pas juridiquement » rappellent la difficulté à échapper aux injonctions contradictoires des pouvoirs publics. Ces derniers sont à la fois désireux de disposer d’entreprises publiques performantes et gérées comme des entreprises, mais aussi enclins à leur imposer constamment des décisions, difficulté qu’avait fort bien diagnostiquée dès 2007 Martine Lombard dans un livre au titre évocateur et toujours d’actualité « l’Etat schizo » (ed. J-C. Lattès).