Pantouflage : faut-il renforcer le contrôle ?
Dans un rapport d’initiative citoyenne, la Cour des comptes dresse le bilan des mobilités entre le secteur public et le secteur privé désignées par le terme « pantouflage ». Résultat : les contrôles effectués par la HATVP semblent insuffisants pour encadrer un phénomène dont il ne faut toutefois pas exagérer l’importance quantitative.

Par Emmanuel Aubin, Professeur de droit public à l’Université de Tours
Qu’est-ce, précisément, que le « pantouflage » ?
Le terme provient de la « pantoufle » qui désignait la somme d’argent que devait verser, par exemple, le polytechnicien qui rejoignait une entreprise privée sans avoir servi l’Etat pendant dix ans à compter de la sortie de l’école de formation. L’actuel chef de l’Etat a ainsi versé une pantoufle de plusieurs dizaines de milliers d’euros lorsqu’il a quitté la fonction publique en 2016 sans avoir servi l’Etat pendant dix ans comme l’exige la qualité d’élève issu de l’ENA. Lorsque l’agent public ayant rejoint pendant plusieurs années le secteur marchand souhaite revenir dans le secteur public (rétro-pantouflage), il doit saisir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) et obtenir un avis de compatibilité. Le Conseil constitutionnel a cependant assoupli la procédure en abrogeant une disposition du code général de la fonction publique appliquant de façon automatique l’interdiction pendant trois ans d’un retour dans le secteur public d’un agent ayant oublié de saisir préalablement l’autorité hiérarchique, rendant ainsi impossible le contrôle par la HATVP de ce rétro-pantouflage (Cons.const., déc. QPC n° 2°24-1120 du 24 janv.2025).
Que dit le rapport d’initiative citoyenne de la Cour des comptes ?
La Cour des comptes constate le nombre peu élevé d’agents publics pratiquant le pantouflage (un peu moins de 10 000 par an sur 6 millions d’agents) ainsi qu’un encadrement inégal selon les versants (Etat, collectivités territoriales, hôpitaux publics) nécessitant des « ajustements nécessaires » pour instaurer un contrôle plus effectif. Ce dernier permet, en effet, d’anticiper le plus en amont possible les risques de méconnaissance des exigences déontologiques. Les motivations des agents publics pour rejoindre le secteur privé sont diverses et concernent surtout les emplois supérieurs de la fonction publique. Quelque 10% des bénéficiaires de tels emplois étaient dans le secteur privé en janvier 2024 avec d’importants contrastes (30% pour les ingénieurs des mines et 3% seulement pour ceux qui sont inspecteurs généraux dans l’administration) et 8% des anciens élèves de l’ENA ont démissionné pour rejoindre le secteur privé. Si la Cour constate le renforcement significatif des contrôles – la HATVP contrôle les mobilités d’environ 14 000 agents -, elle relève la quasi absence de saisines de la HATVP pour les mobilités dans la fonction publique hospitalière (15 saisines de la HATVP dans ce secteur public entre 2021 et 2023 contre 135 dans la Territoriale et 584 dans l’Etat), la rareté de l’interdiction des mobilités et l’importance des réserves émises dans l’avis de compatibilité (77% des avis émettant des réserves pour amener les agents publics à pratiquer un pantouflage éthique).
La HATVP dispose-t-elle de moyens suffisants pour contrôler le pantouflage ?
Les agents et responsables publics ainsi que les anciens membres du gouvernement doivent saisir la HATVP afin qu’elle se prononce sur la compatibilité de l’exercice d’une activité rémunérée au sein d’une entreprise avec les fonctions publiques exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. Cet avis sur la comptabilité entre la fonction publique exercée et l’activité lucrative envisagée dans le secteur privé permet de prévenir toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui serait de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. Une magistrate administrative à la retraite a ainsi été interdite d’exercer la profession d’avocate devant le TA de Caen et le TA de Paris en raison d’un risque de conflit d’intérêts (CE, 8 novembre 2024, n° 473461). Ce contrôle déontologique vise également à prévenir l’infraction de prise illégale d’intérêt prévue à l’article 432-13 du code pénal. Ce contrôle vise enfin à prévenir tout risque d’influence étrangère. Par exemple, s’agissant du pantouflage d’anciens membres du gouvernement, l’ancien ministre de la fonction publique Stanislas Guérini va rejoindre un cabinet de conseil aux entreprises notamment en matière de transformation et de ressources humaines, en qualité de senior partner, la HATVP ayant rendu un avis de compatibilité sous réserve (HATVP, Délibération n° 2025-105 du 18 mars 2025) ainsi qu’ à son successeur à cette fonction, Olivier Dussopt, désireux de créer une société de conseil (Délibération n° 2024-241 du 8 oct 2024). L’ancien secrétaire général de l’Elysée, Alexis Koehler, a annoncé qu’il rejoindrait en juin 2025 la Société Générale pour en devenir directeur général adjoint. En sa qualité d’agent public occupant ou ayant occupé, au cours des trois dernières années, un emploi de collaborateur du Président de la République (CGFP, art L.124-4), Alexis Kohler a saisi la HATVP qui a rendu un avis de compatibilité sous réserve en précisant qu’il devra s’abstenir « de réaliser toute démarche, y compris de représentation d’intérêts », auprès de Jean Castex, Élisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier, François Bayrou, « ainsi que des ministres de plein exercice de leurs gouvernements respectifs, tant que ceux-ci seront membres du Gouvernement ou dans l’hypothèse où ils seraient amenés à exercer à nouveau des fonctions gouvernementales » (Délibération n° 2025-82 du 25 fév.2025). Bruno Le Maire a également bénéficié d’un avis avec réserve pour prodiguer des conseils, sept ans après avoir dirigé Bercy, à une société néerlandaise spécialisée dans le secteur des semi-conducteurs (Délibération n° 2024-335 du 3 déc. 2024).
Dans toutes ces situations, la HATVP a précisé le champ des interdits dans l’exercice de l’activité privée sans toutefois avoir les moyens de contrôler le respect des réserves émises, raison pour laquelle la Cour préconise dans son rapport de « systématiser le contrôle des réserves ». Au regard de l’augmentation de la charge de travail de la HAVTP résultant notamment du contrôle des mobilités, le nouveau président de la Haute Autorité, Jean Maïa a évoqué le 6 mai 2025 le manque de moyens humains, financiers et technologiques de l’institution dotée d’un budget de 10 millions d’euros seulement.