Par Charles Froger, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Quelles sont les obligations des agents publics qui souhaitent partir exercer une activité lucrative dans le secteur privé ?

Afin de prévenir les conflits d’intérêts, au titre des compétences de la HATVP, étendues par la loi n°2019-868 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, figurent le contrôle des mobilités public-privé. Il peut s’agir d’un départ de l’agent public vers le secteur privé, autrement dit d’un « pantouflage », ou d’un retour dans la fonction publique, après un passage dans le secteur privé, c’est-à-dire d’un « rétro-pantouflage ». Dans leur rédaction révisée lors de l’adoption du code général de la fonction publique (CGFP) par l’ordonnance n°1574-2021 du 24 novembre 2021, les articles L. 124-4 et L. 124-5 du CGFP imposent aux agents publics souhaitant exercer une mobilité vers le secteur privé, la saisine de leur autorité hiérarchique, laquelle peut subsidiairement saisir la HATVP en cas de doute. Pour les agents dont le niveau hiérarchique le justifie, ainsi que pour les membres des cabinets ministériels (art. 11 de la loi du 20 avril 2016), la saisine de la HATVP par l’autorité hiérarchique est obligatoire et, à défaut, l’agent peut y procéder lui-même. Au terme de ce processus, la  HATVP peut être conduite à émettre un avis de compatibilité, le cas échéant avec réserve, ou d’incompatibilité sur le projet de création ou de reprise d’une entreprise par un agent public, sur le projet d’activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, ainsi que sur la réintégration d’un fonctionnaire ou le recrutement d’un agent contractuel (articles L. 124-10 et L. 124-14 du CGFP).

Quelle est la sanction prévue en cas de violation de la procédure ?

L’affaire ayant conduit au renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel (CE, 25 oct. 2024, M. M., n° 494061) illustre ces différents temps de contrôle comme les incomplétudes de la loi. Une personne ayant occupé plusieurs postes en cabinets ministériels, entre 2021 et 2023, est ensuite partie dans le secteur privé pour y exercer une activité de communication et de relations publiques. Elle a, par la suite, été rappelée en vue d’exercer des fonctions au sein d’un cabinet ministériel en 2024. A cette occasion, saisie par le ministère intéressé au titre du contrôle préalable aux nominations (art. L. 124-7 du CGFP), la HATVP s’est opposée à son retour en raison de l’absence de saisine de la HATVP lors de son départ dans le secteur privé en 2023. La Haute autorité a appliqué le dispositif prévu par l’article L. 124-10, alinéa 3 du CGFP. Lorsque l’avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité n’est pas respecté, ou en l’absence de saisine de l’autorité hiérarchique, celui-ci impose à l’administration de ne pas procéder à la nomination de l’agent contractuel au cours des trois années suivant la notification de l’avis de la HATVP. L’automaticité de cette sanction a précisément fait l’objet de la QPC, la HATVP ayant elle-même déjà demandé une clarification du texte dans son rapport d’activité en 2023.  

Quelle est la portée de cette décision du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel a procédé à l’abrogation du 3e alinéa de l’article 124-20 du CGFP, en le déclarant contraire au principe de l’individualisation des peines. Au préalable, le juge constitutionnel aiguille le législateur dans la réécriture du texte à venir sur un point délicat. Le dernier alinéa ne prévoyait pas le point de départ du délai d’interdiction de recrutement de trois ans lorsque, comme ici, l’agent n’avait pas saisi son autorité hiérarchique, ni la HATVP. Le juge constitutionnel estime, dans ce cas, que le délai court « à compter du début de l’activité en cause ». Le législateur pourra utilement combler cette lacune.

Pour parvenir à la censure, le Conseil constitutionnel applique une jurisprudence constante en assimilant l’interdiction de recrutement à une « sanction ayant caractère de punition ». Même si cette prohibition a partiellement pour but de prévenir les atteintes à la moralité dans la fonction publique, par la prévention des conflits d’intérêts qu’elle permet, le juge constitutionnel identifie surtout une dimension punitive à l’égard de l’agent qui a manqué à ses obligations déclaratives. Cette assimilation entraîne l’application des principes essentiels de la matière pénale dont celui de nécessité des peines prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyens de 1789. Il en découle un principe d’individualisation des peines qui prohibe l’automaticité de celles-ci. Le Conseil rappelle à cet égard que cela « implique qu’une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l’administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ». Toutefois, en vertu de l’article 62 de la constitution, le juge constitutionnel reporte l’entrée en vigueur de sa décision au 31 janvier 2026, pour permettre la refonte législative. L’abrogation immédiate aurait en effet des conséquences excessives sur l’intérêt général en supprimant « toute possibilité de sanctionner les manquements au contrôle la HATVP par l’interdiction de recrutement de l’agent contractuel intéressé ».

Finalement, le juge constitutionnel tient ici compte des situations où les personnes extérieures à l’administration employées comme contractuelles, notamment (mais pas seulement) celles recrutées en cabinets ministériels, ne sont pas toujours correctement informées par leurs employeurs publics de leurs obligations déclaratives en cas de départ. C’est pourquoi « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, l’administration peut écarter la sanction prévue par ces dispositions ou en moduler la durée pour tenir compte des circonstances propres à chaque espèce ». Autrement dit, la violation d’un avis d’incompatibilité de la HATVP n’aura certainement pas la même portée que l’omission de saisir l’autorité hiérarchique, spécialement lorsque les activités privées passées n’auraient entrainé aucune incompatibilité ou réserve. En cette période de déficit structurel d’attractivité, les plus pragmatiques y verront un moyen de ne pas décourager les rares aspirants souhaitant travailler dans la fonction publique. On peut aussi y déceler la volonté sous-jacente du Conseil constitutionnel, s’agissant des cabinets ministériels, de limiter les conséquences inopportunes pour leurs membres, liées à la valse à venir en ces temps d’instabilité gouvernementale. Les thuriféraires de la prévention des conflits d’intérêts y verront, à regret, un net recul déontologique.