Lutte contre les arbitrages de dividendes : une nouvelle réforme à l’étude
À l’occasion d’une proposition de loi transpartisane, certains parlementaires ont proposé de modifier le régime d’imposition des versements des bénéfices d’une société française aux actionnaires et associés étrangers. Ce projet de réforme est justifié par l’existence de pratiques abusives appelées arbitrages de dividendes. La proposition de loi tend à durcir le régime d’imposition en reprenant les propositions précédemment retoquées lors du vote de lois de finances.
Par Édouard Coulon, Maître de conférences à l’Université de Lille
Qu’est-ce que la pratique des arbitrages de dividendes ?
Cette pratique avait été révélée à l’occasion de la publication, par un consortium de médias européens, des « CumEx Files ». Elle tend à éviter l’application du 2 de l’article 119 bis du Code général des impôts (CGI), c’est-à-dire une retenue à la source sur les produits versés par des sociétés françaises à des personnes non résidentes. Cette imposition ne s’applique pas dans tous les cas et peut être réduite ou supprimée par l’effet de l’application d’une convention fiscale internationale liant la France et le pays de résidence de la personne morale destinataire des dividendes. L’évitement de cette imposition repose alors notamment sur une relocalisation artificielle des dividendes en France ou dans des pays liés avec la France par une convention favorable. Plus exactement, ces arbitrages de dividendes sont composés de deux pratiques.
D’une part, il est distingué une opération dite « CumCum ». Entourée d’une certaine complexité de technique financière, la pratique n’en demeure pas moins assez caricaturale. Le potentiel redevable de la retenue à la source confie ses titres à un établissement bancaire français (montage dit « interne ») ou se trouvant dans un pays bénéficiant d’une convention fiscale avec la France favorable (montage dit « externe »). Grâce à ce transfert, lors de la collecte des dividendes, le revenu échappe à l’imposition redoutée. Au prix d’une commission, l’établissement pivot rend ensuite le titre et les dividendes au propriétaire initial.
D’autre part, une autre pratique est singularisée. Elle est alors nommée sous le vocable de « CumEx ». Plusieurs investisseurs étrangers peuvent s’échanger à haute fréquence des titres avant le versement des dividendes et revendiquer ensuite le même remboursement d’imposition en vertu de la retenue à la source applicable. Dans ce cas, l’administration fiscale ne parvient pas à identifier le propriétaire réel des actions et risque de verser un remboursement indu.
Quelle est la législation applicable en l’état du droit actuel ?
Évidemment, cette pratique constitue un comportement ne reposant sur aucune logique économique ou financière. À ce titre, elle est réputée artificielle. Aussi elle peut être rectifiée sur le fondement de l’abus de droit (notamment art. L. 64 du LPF).
Complétant ce dernier mécanisme et constatant la faiblesse du droit positif pour lutter efficacement contre ces pratiques, le législateur a créé un dispositif anti-abus spécial (art. 119 bis A du CGI) à l’encontre des montages « Cumcum » internes. En application de ce dernier, les sommes liées à ces pratiques sont assimilées à des revenus distribués soumis à la retenue à la source. Ce texte ne concerne que les opérations de cessions temporaires ou comportant des obligations de restitution ou de revente. En outre, le texte ne s’applique que si ces opérations sont réalisées dans un délai de 45 jours. Ce temps comprend la date à laquelle le droit à une distribution des bénéfices est acquis. Cette temporalité présume l’artificialité. Contre cela, le bénéficiaire du versement a la possibilité de prouver que l’opération a eu principalement un objet et un effet autres que d’obtenir un avantage fiscal. Il s’agit alors de démontrer le but économique ou organisationnel de ces opérations.
Quelle est la modification proposée ?
Estimant que le contournement de l’imposition des dividendes a toujours lieu à grande échelle, que le dispositif anti-abus est pour l’heure insuffisant et que la décision du Conseil d’État du 8 décembre 2023 sur le sujet encadre strictement l’action du fisc sur le sujet, la proposition législative présente des modifications radicales, étendant le champ d’application du texte.
Premièrement, les auteurs du texte estiment que la limite de temps doit être supprimée. Inspirée du droit allemand, cette limite garantissait pourtant une certaine proportionnalité du dispositif.
Deuxièmement, en l’absence de conditions de temps, le texte tente de préciser les cas matériels où l’impôt doit s’appliquer. Dans l’ensemble, il s’agit de décrire des opérations où la possession des titres n’est que temporaire. Cette modification tend également à élargir le champ d’application de ce texte. La proposition vise notamment les produits dérivés ou instruments financiers qui entraîneraient des effets économiques similaires à la possession des parts ou actions, sans correspondre juridiquement à un transfert de propriété.
Troisièmement, tous les flux financiers partant à l’étranger doivent subir une retenue à la source de 30 %, même si le bénéficiaire est résident dans un État ayant signé une convention fiscale avec la France. Pour obtenir le remboursement, le bénéficiaire devrait prouver qu’il est le bénéficiaire effectif du versement concerné et que l’opération n’a pas principalement pour effet ou objet d’éviter l’imposition.
Quatrièmement, les auteurs de la proposition souhaitent que le remboursement de la retenue à la source soit soumis à un contrôle de l’administration fiscale pour vérifier que la bonne personne a été imposée. Par cette mesure, ils entendent lutter contre les montages « CumEx ».
Cette énième réforme a-t-elle un intérêt ?
Cette proposition est une reprise des propositions sénatoriales qui furent rejetées par l’Assemblée nationale en 2018 et en 2019, en raison d’un risque d’incompatibilité avec le droit de l’Union européenne.
Ce risque n’est pas évoqué dans la proposition. Il est pourtant toujours prégnant, surtout en ce qui concerne le respect de la liberté d’établissement ou de la directive européenne luttant contre les doubles impositions en matière de dividende entre une société mère et une fille. En outre, le risque d’incompatibilité demeure en ce qui concerne la proportionnalité de la présomption d’abus qu’organise cette proposition. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne prohibe les présomptions générales de fraude. La qualification de fraude ne doit pas être trop aisément attribuée pour refuser à un contribuable le bénéfice d’une liberté fondamentale ou d’une directive, sans que l’administration ait à présenter un commencement de preuve.
De plus, certaines conventions internationales pourraient neutraliser ce dispositif, lorsqu’elles prévoient notamment une exonération pour ces flux.
Finalement, le texte adopté en 2018 semble plus adapté. Il assure une application ciblée à des comportements contenant des éléments objectifs d’artificialité, tout en garantissant une sécurité juridique aux contribuables. Pour ce qui ne rentre pas dans le champ du dispositif, la notion d’abus de droit est toujours applicable.