Par Yann Basire, Maître de conférences et Directeur général au Centre d’Études Internationales de la Propriété Intellectuelle (CEIPI), Université de Strasbourg

Le 31 janvier 2020, près de 4 ans après le référendum par lequel 51,89 % des Britanniques se sont prononcés en faveur du Brexit, le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne. Une période de transition de 11 mois, dont le terme était fixé au 31 décembre 2020, s’est alors ouverte, pendant laquelle l’avenir des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni s’est joué, et ce alors que le spectre du no deal plana jusqu’aux derniers instants.

Au-delà des considérations politiques et économiques qui l’entourent, le Brexit s’est apparenté à un véritable séisme juridique pour l’ensemble des matières « européanisées », au premier rang desquelles figure, bien évidemment, la propriété intellectuelle et, plus particulièrement, le droit des marques. Outre la remise en cause potentielle de l’harmonisation du droit des marques sur le territoire britannique, c’est l’avenir des droits acquis au Royaume-Uni, par le truchement de la marque de l’Union européenne, qui était en jeu et source d’inquiétude pour les opérateurs économiques.

Les accords de retrait (JO L 29 du 31 janv. 2020)et de coopération (JO L 444 du 31 déc. 2020), complétés par une Communication du Directeur exécutif de l’EUIPO (Communication n° 2/20) sont toutefois venus dissiper leurs doutes, en apportant des réponses, empreintes d’un certain pragmatisme, aux nombreuses interrogations que le Brexit a engendré dans le domaine du droit des marques.

Quid du sort réservé aux marques de l’Union européenne au Royaume-Uni après le 31 décembre 2021 ?

Titre unitaire enregistré par l’EUIPO (L’office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle), la marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif sur le signe concerné pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne. A ce jour, l’on compte plus de 2,5 millions de ces marques dans les registres. Leur sort sur le territoire britannique, qui n’entre plus dans le périmètre de protection conférée par la marque de l’Union européenne une fois la période de transition écoulée, ne constituait donc pas, et de loin, un enjeu anodin, les titulaires de marques de l’Union européenne risquant, purement et simplement, de perdre leurs droits exclusifs au Royaume-Uni. Il est vrai, en effet que, si le règlement sur la marque de l’Union européenne traite de l’intégration de nouveaux États membres (Règl. (UE) n° 2017/1001, art. 209.), il n’est nullement fait mention de la sortie de l’un d’entre eux et du devenir d’une marque de l’Union européenne dans celui-ci une fois son retrait effectif. Plusieurs scénarios s’offraient ainsi aux négociateurs : tenter de conserver un titre unique, en modifiant le paradigme actuel, ou transformer – selon diverses modalités – la partie des marques de l’Union européenne couvrant le Royaume-Uni en marques nationales britanniques (V. sur cette question, Y. Basire, « Les conséquences du Brexit sur la propriété intellectuelle : le cas du droit des marques », RTD Com. 2017, p. 553). Fort heureusement pour les titulaires, mais aussi pour le système, c’est le choix de la conversion automatique qui a retenu les faveurs des négociateurs.

Les marques de l’Union européenne enregistrées au 31 décembre 2020 ont ainsi été importées de manière automatique et gratuite, sans examen de la part de l’UKIPO (l’office britannique), sur le registre britannique. Ces nouvelles marques nationales bénéficient, en sus, de la date de dépôt – ou de la date de priorité – des marques de l’Union européenne correspondantes. Le parallélisme ne s’arrête d’ailleurs pas là, ces marques britanniques ayant une première date de renouvellement identique à celle des marques de l’Union européenne dont elles sont issues. De même, si une marque de l’Union européenne est annulée ou frappée de déchéance suite à une procédure en cours à la fin de la période de transition, le droit correspondant au Royaume-Uni se verra, également, déclaré nul ou déchu, à la même date, sauf à ce que les motifs de nullité ou de déchéance de la marque de l’Union européenne ne s’appliquent pas sur ce territoire. Faut-il, enfin, préciser que ces nouvelles marques britanniques se voient accorder une forme d’immunité avec un nouveau délai de grâce, celles-ci n’étant pas susceptibles de déchéance au motif qu’avant la fin de la période de transition, elles n’avaient pas fait l’objet d’un usage sérieux au Royaume-Uni.

En assurant une réelle continuité aux titres unitaires sur les registres britanniques, et ce, à moindres frais, le mécanisme proposé se veut respectueux des droits acquis avant la fin de la période de transition. Cette importation, si elle est automatique, n’est toutefois pas obligatoire, un système d’op out étant prévu pour les titulaires qui ne souhaiteraient pas voir leurs marques de l’Union européenne clonées en marques britanniques pour le Royaume-Uni. Qui plus est, une marque de l’Union européenne en cours d’enregistrement au 31 décembre 2020 n’a pas pu faire l’objet d’une importation automatique sur les registres britanniques. Les opérateurs économiques concernés se devaient donc de procéder à un nouveau dépôt de marque britannique devant l’UKIPO, dépôt impliquant le paiement des taxes habituelles et un examen de validité par l’autorité compétente. Cette demande d’enregistrement pourra, cependant, bénéficier de la date de dépôt de la marque de l’Union européenne initiale si elle est effectuée avant le 30 septembre 2021.

Quelles conséquences pour les procédures en cours et à venir ?

L’avenir de certaines procédures en cours à la fin de la période de transition a également été remis en question. D’une part, les actions en cours au 31 décembre 2020 fondées sur des droits antérieurs britanniques, tels que des marques ou d’autres signes utilisés dans la vie des affaires, doivent être rejetées comme étant dépourvues d’objet (Communication n° 2/20, pt. 12). En effet, dans le cadre d’une action en nullité, le titulaire d’un droit antérieur doit pouvoir s’en prévaloir non seulement à la date de dépôt ou de priorité de cette marque, mais aussi à la date à laquelle se prononce l’EUIPO sur la demande en nullité (V. par analogie, TUE, 2 juin 2021, aff. T-169/19).

Il n’est, d’autre part, plus possible, depuis le 1er janvier 2021, de tenir compte, aux fins de l’appréciation de la validité d’une marque, du public et du territoire britannique.

Et maintenant ?

Pragmatisme, cohérence et continuité sont les maîtres mots qui entourent les solutions retenues face au Brexit en matière de marque de l’Union européenne. Si elles doivent satisfaire le plus grand nombre dans l’immédiat, il n’en demeure pas moins que les opérateurs économiques, titulaires de nouvelles marques britanniques, devront faire preuve de vigilance.

En premier lieu, ces « importations » automatiques sur le registre britannique constituent une dose de complexité supplémentaire dans la gestion des portefeuilles de marques et des contrats portant sur ces signes.

En second lieu et bien qu’il soit heureux que l’accord de coopération vise un grand nombre de principes essentiels qui auront vocation à s’imposer sur le territoire britannique (la représentation des signes, les conditions de mise en œuvre du droit de marque, les causes de déchéance, l’interdiction des actes préparatoires, etc.), il n’en demeure pas moins que ceux-ci pourront être interprétés et appliqués librement par la jurisprudence britannique, la Cour de justice ayant désormais perdu toute influence au Royaume-Uni. Il appartiendra donc aux titulaires de marques britanniques de suivre de très près l’évolution de la jurisprudence en la matière.

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