La France, futur paradis fiscal pour la FIFA ?
Par Martin Collet, professeur de droit à l’Université Paris-Panthéon Assas et Expert du Club des juristes
La première partie du projet de loi de finances pour 2024, adopté le 18 octobre après recours à l’article 49.3 de la Constitution, prévoit d’exonérer dès l’année prochaine les fédérations sportives internationales du paiement de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la cotisation économique territoriales (CET). Il prévoit également d’exonérer leurs salariés de l’impôt sur le revenu (IR) durant cinq ans. Issu d’un amendement présenté par près de 200 députés de majorité, ce dispositif a suscité des réactions mitigées au sein même de la majorité (v. Les Echos/ Le Monde). Qu’en est-il de sa conformité aux exigences constitutionnelles et aux principes du droit international ? Martin Collet, professeur de droit à l’Université Paris-Panthéon-Assas et Expert du Club des juristes nous donne son point de vue sur cette question.
Cette double exonération offerte aux fédérations sportives internationales et à leurs salariés est-elle inédite, en droit français ?
Oui et non. L’amendement s’inspire de deux dispositifs antérieurs : d’une part, l’exonération que la loi de finances rectificative pour 2014 avait offerte à l’UEFA, au titre des bénéfices réalisés à l’occasion de l’Euro 2016, et, d’autre part, le régime des « impatriés » qui, depuis 20 ans, propose un traitement fiscal avantageux aux salariés d’entreprises étrangères venant s’installer en France afin d’y développer l’activité de leur employeur.
Pourtant, les dispositions du PLF 2024 sont d’une portée bien plus large. L’exonération offerte aux fédérations sportives internationales aurait, semble-t-il, pour vocation première de convaincre la puissante FIFA de s’installer en France. Mais, au bout du compte, elle concernera potentiellement des dizaines de fédérations, et ce de manière pérenne. Certes, le projet évoque une limite à l’exonération en se concentrant sur les bénéfices tirés des « missions de gouvernance du sport ou de promotion de la pratique du sport », mais sans que l’on sache très bien à quoi renvoie cette formule.
De même, l’exonération des salariés est censée s’appliquer tout autant aux nouveaux résidents français venant de l’étranger qu’à ceux déjà domiciliés sur le territoire lors de l’entrée en vigueur du dispositif.
Ce dispositif est-il compatible avec les exigences constitutionnelles ?
Ce large champ d’application pose un sérieux problème de constitutionnalité. En effet, si le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques n’interdit pas la mise en œuvre de régimes d’exonération, c’est à la double condition qu’un motif d’intérêt général justifie ces traitements différenciés, et qu’il les justifie pour l’ensemble des personnes concernées.
C’est ainsi que, en 2014, le législateur avait fait valoir à quel point le régime d’exonération appelé, en pratique, à bénéficier à l’UEFA était justifié au regard des « retombées économiques exceptionnelles » que l’Euro 2016 devait générer, en lien avec le caractère tout aussi « exceptionnel » de l’organisation d’une telle compétition sur le territoire français. Le texte adopté 2024 se montre beaucoup moins précautionneux : si tant est que l’installation d’une entité comme la FIFA satisfasse véritablement un motif d’intérêt général (en termes de retombées économiques, notamment), on perçoit mal en quoi il en irait de même pour les plus petites fédérations.
Pis encore, en offrant à tous leurs salariés une exonération d’IR pendant cinq ans, la loi viendrait mettre dans le même panier des contribuables aux situations pourtant incomparables (notamment en assimilant les « impatriés » et les personnes domiciliées en France depuis toujours), au risque de contrarier le principe d’égalité devant l’impôt.
Cette double exonération est-elle conforme aux engagements internationaux de la France ?
C’est peut-être sur ce terrain que le projet adopté par le gouvernement est le plus surprenant tant il apparaît difficilement compatible avec l’engagement constant de la France, depuis plus de dix ans, dans la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales et la dénonciation des paradis fiscaux. Rappelons à cet égard que, parallèlement aux dispositions portant sur les fédérations sportives, le même PLF pour 2024 transpose en droit français une directive européenne qui consacre un mécanisme assez révolutionnaire, forgée par l’OCDE (le « Pilier 2 »), consistant à soumettre l’ensemble des grandes groupes internationaux à un taux minimum d’impôt sur leurs bénéfices de 15 % (v. Billet Gutmann). Il est tout de même piquant de constater que, dans le même texte, le législateur entend ainsi concrétiser le combat contre les « paradis fiscaux » et, parallèlement, crée de toute pièce un régime d’imposition à taux zéro pour certaines entités, en arguant de la spécificité de leur activité…
Il est d’ailleurs fort possible que si le régime d’exonération des fédérations sportives devait finalement être adopté et passer l’épreuve du contrôle de constitutionnalité, les plus riches d’entre elles pourraient peut-être entrer dans le champs d’application du « Pilier 2 » au point de devoir finalement payer cet impôt minimum de 15 % !
Au-delà, ce double régime d’exonération pourrait fort bien être assimilé à un « régime fiscal dommageable » (du point de vue des États qui verraient partir leurs résidents attirés par cet effet d’aubaine fiscal) contre lequel l’OCDE s’efforce de lutter – et que la France est prompte à dénoncer lorsqu’ils sont mis en œuvre par des États étrangers.