H20 : le Conseil d’État valide les 93 millions d’euros d’amende infligée par l’AMF
Par un arrêt du 13 juin 2025, le Conseil d’État rejette le recours en annulation contre la décision de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) du 30 décembre 2022 qui a prononcé à l’encontre de cette société de gestion et de deux de ses dirigeants des sanctions pécuniaires d’un montant totalement inédit (93 millions d’euros) pour des manquements commis dans le cadre de la gestion d’OPCVM français.

Par Michel Storck, Professeur émérite de l’Université de Strasbourg
Compétence transfrontalière de l’AMF visant une société de gestion britannique
Le contrôle des règles relatives au fonctionnement des OPCVM (Organismes de placement collectif en valeurs mobilières) de droit français relève de la compétence de l’AMF (Autorité des Marchés financiers). Le contrôle des règles relatives à l’organisation de la société de gestion de droit britannique relève de la compétence de la FCA (Financial Conduct Authority) ; l’enquête ouverte en 2020 par la FCA a porté sur les règles d’organisation et les règles de bonne conduite de la société de gestion, et non sur les règles de fonctionnement des OPCVM de droit français gérés, dont le contrôle relève de la compétence de l’AMF.
Selon les dispositions des articles L. 621-9 et L. 621-15 du Code monétaire et financier, la commission des sanctions de l’AMF est compétente pour sanctionner les sociétés de gestion établies dans un autre État membre de l’Union européenne (UE) fournissant des services en France qui gèrent un ou plusieurs OPCVM de droit français agréés conformément à la directive OPCVM, ainsi que les personnes physiques placées sous leur autorité ou qui agissent pour leur compte, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles.
Pour apprécier la compétence de l’AMF, il convient de tenir compte de la situation des personnes mises en cause au moment des faits qui leur sont reprochés et non à la date de notification des griefs. En raison du Brexit, ce n’est qu’à compter du 1er janvier 2021, postérieurement aux faits reprochés, que H2O a perdu sa qualité professionnelle de société de gestion établie dans un État membre de l’UE gérant des OPCVM de droit français.
Le Conseil d’État écarte le grief selon lequel l’AMF aurait dû se coordonner avec la FCA : le principe de coopération prévu à l’article 99 quater de la directive OPCVM ne crée pas une compétence exclusive au profit d’une seule autorité de régulation, mais impose simplement une bonne entente entre régulateurs. L’existence d’une compétence parallèle de la FCA n’interdit donc pas une procédure autonome de sanction par l’AMF.
Cette position entérine une approche pluri-territoriale du droit de la régulation, où plusieurs autorités peuvent exercer simultanément leurs prérogatives, dès lors les contrôles sont fondés sur des critères de rattachement légitimes (en l’espèce : nationalité des OPC).
Une gestion incompatible avec les exigences prudentielles applicables aux OPCVM
Le Conseil d’État valide l’ensemble des manquements relevés par la commission des sanctions, lesquels traduisent une gestion en contradiction manifeste avec les règles prudentielles régissant les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), au détriment de la protection des investisseurs : souscription de titres non cotés inéligibles en raison de leur faible liquidité ; non-conformité aux objectifs d’investissement définis par les prospectus ; défaut de valorisation fiable des instruments non cotés ; dépassement du ratio de concentration par émetteur ; irrégularités multiples dans les opérations de « buy and sell back ».
Les montants des sanctions prononcées par la commission des sanctions sont jugés proportionnés au regard notamment de la gravité des manquements, de l’ampleur des faits (plus de 1,5 milliard d’euros investis sur une période de plus de trois ans, avec des conséquences graves pour les investisseurs non professionnels) et de la situation financière des intéressés.
Responsabilité des dirigeants fondée sur une implication directe dans les manquements
Le Conseil d’État considère qu’il résulte de la combinaison du 7° bis du II de l’article L. 621-9 et du b) du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, que la commission des sanctions peut, « après avoir constaté qu’une société de gestion établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne et gérant en France un ou plusieurs OPCVM agréés conformément à la directive 2009/65/CE a commis des manquement à ses obligations professionnelles, imputer les mêmes manquements à ses dirigeants, en cette qualité, sauf si les intéressés font valoir des circonstances particulières faisant obstacle à la mise en cause de leur responsabilité de dirigeants ». Le mécanisme de l’imputabilité des manquements consiste à sanctionner les dirigeants au titre du non-respect des mêmes obligations que celles qui ont été méconnues par la société de gestion. Le Conseil d’Etat relève en l’espèce les deux éléments de l’imputation aux deux personnes physiques.
D’une part, il est établi que les deux personnes étaient, à l’époque des faits, respectivement, Chief Executive Officer et Chief Investment Officer de H2O et membre de l’Executive Committee de cette société, organe ayant pour mission statutaire de gérer l’activité de la société au quotidien. En tant que membres du comité exécutif de cette société, les intéressés avaient la responsabilité de la gestion des fonds H2O.
D’autre part, « ils ont tous deux été, directement et personnellement, à l’origine des décisions d’investissement ayant donné lieu aux manquements en cause ».
« Ils doivent, dès lors, être regardés comme ayant été, au moment de ces faits, des personnes agissant pour le compte de la société H2O au sens et pour l’application du b) du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier ». La précision ainsi apportée que les intéressés ont personnellement pris part aux décisions fautives (investissements risqués, manquements aux règles de valorisation, etc.) écarte un risque d’automaticité de la responsabilité des dirigeants et des salariés de la société de gestion.