Budget européen : que prévoit la proposition de la Commission européenne ?
La Commission a présenté ses propositions pour les perspectives financières 2028-2034. 2 000 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne : d’apparence, le budget a considérablement augmenté ; à y regarder de plus près, l’évolution tient davantage à un mouvement de simplification et de renationalisation.
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Par Francesco Martucci, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Quelles sont les perspectives financières de l’Union européenne ?
L’Union européenne dispose d’un budget certes voté annuellement, mais dans le strict respect du cadre financier pluriannuel (CFP). Afin de garantir la discipline budgétaire, la programmation financière de l’Union a été « pluri-annualisée » : depuis le Conseil européen de Fontainebleau de 1984, les perspectives financières désignent le cadre dans lequel évoluent les dépenses et les recettes de l’Union pour des périodes de sept ans (actuellement 2020-2027).
Consacré en droit primaire, le CFP est complété par la décision « ressources propres » qui, pour la même période, est adoptée par le Conseil européen et approuvée par tous les États membres en vertu de leurs règles constitutionnelles respectives. Selon l’article 312 TFUE, le CFP vise à assurer l’évolution ordonnée des dépenses de l’Union dans la limite de ses ressources propres.
La discipline budgétaire joue à double titre. D’une part, lorsque la Commission présente une proposition de budget annuel de l’Union, les montants et les postes de recettes et de dépenses que le Parlement européen et le Conseil votent ensuite, sont conformes au CFP. D’une année sur l’autre, le budget de l’Union varie uniquement dans les limites strictes du CFP, ce qui permet une maîtrise de la dépense publique européenne et une prévisibilité des recettes provenant largement des États membres. On sait dès lors à l’avance la part du budget consacrée à chacune des actions et politiques de l’Union. D’autre part, depuis 1970, l’Union – et avant la Communauté – est financée par des ressources propres, c’est-à-dire des ressources revenant de plein droit à l’Union en vertu de la décision du Conseil européen, laquelle fixe un plafond au budget qui ne doit pas dépasser 1,40 % de la somme des revenus nationaux bruts (RNB) de tous les États membres.
En ajoutant l’obligation d’un vote du budget équilibré en dépenses et en recettes et l’interdiction de financer ce même budget par l’emprunt, on obtient un cadre de discipline budgétaire particulièrement rigoureux.
Que reste-t-il du « moment hamiltonien » de l’Union ?
La négociation des perspectives financières s’inscrit toujours dans un chemin de dépendance tracé par une contrainte de taille : les ressources propres sont constituées pour 2/3 par les contributions RNB versées par les États membres. Aussi ces derniers sont-ils enclins à limiter le volume du budget de l’Union et à en orienter les dépenses.
C’est en pleine crise de la COVID que les négociations des perspectives financières 2020-2027 se sont achevées, marquant un changement de paradigme. Si le plafond du budget a été relevé (il était auparavant de 1,23 %), le CFP limitait pour les sept années le budget total à 1 049 milliards d’euros ; on est donc bien loin du budget qui peut être celui d’une fédération de l’ordre de 20 ou 30 % de la somme des budgets des entités fédérées. Les États membres ont fait le choix d’adjoindre au budget un instrument de relance destiné à soutenir l’économie après la crise liée à la COVID-19 par un règlement (UE) 2020/2094 adopté en application de l’article 122 TFUE, base juridique permettant d’adopter « dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique ». L’instrument Next Generation EU a permis ainsi de financer à hauteur de 750 milliards d’euros des prêts et des subventions accordés aux États membres pour certaines dépenses déclinées selon le triptyque de la transition climatique, numérique et énergétique. Pour financer Next Generation EU, la décision « ressources propres » de 2020 a autorisé la Commission à emprunter sur les marchés les 750 milliards dont une partie seulement correspond à des prêts remboursés par les États membres. C’est pourquoi certains ont vu dans Next Generation EU l’esquisse d’une mutualisation de l’endettement européen et la prémisse d’une solidarité financière inter-étatique, d’autres s’essayant à une comparaison avec le plan de Hamilton qui, en 1790, avait substitué de la dette fédérale à la dette des États fédérés, catalysant le fédéralisme américain.
Que prévoit la proposition de la Commission européenne ?
Doté de 2 000 milliards d’euros (1 816 en prix constants 2025), le CFP s’inscrit dans la continuité des perspectives 2020-2027, en tenant compte de l’inflation et de Next Generation EU, le plafond pratiqué passant de 1,1 % à 1,26 % (loin de la limite de 1,40 %). L’évolution tient davantage à ce que les finances de l’Union n’échappent pas à la simplification consistant à remédier à l’éclatement en fonds multiples.
Trois grands axes regroupant les instruments financiers sont proposés : 1) Les plans de partenariat nationaux et régionaux (865 milliards) financeraient la politique agricole commune, la politique de cohésion économique sociale et territoriale ainsi que d’autres fonds (pêche, immigration, etc.) ; s’y ajouterait le remboursement de Next Generation EU. Cet axe confirme la logique de planification européenne, pratiquée dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance et au cœur du plan de relance : l’État membre établit un plan négocié et évalué par l’Union pour orienter la dépense publique nationale financée par le budget européen. 2) Principale nouveauté, dans l’esprit du rapport Draghi, un Fonds européen pour la compétitivité (410 milliards) financerait certaines priorités comme le numérique, les transports ou l’énergie. 3) L’action extérieure constitue le troisième axe allant de l’élargissement à l’aide humanitaire (200 milliards), une assistance spécifique étant prévue pour l’Ukraine (100 milliards) en dehors du CFP.
Enfin, la Commission propose de nouvelles ressources propres ; outre des recettes issues du système d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre et du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, déjà envisagées en 2020, seraient créés des prélèvements sur les déchets électroniques, le tabac ou encore des grandes entreprises.
Toutefois, rien n’est encore acté : les perspectives européennes seront le fruit d’âpres négociations entre États membres, et avec la Commission, tandis que le Parlement européen dispose d’un pouvoir d’approbation.