Par Jean-Sébastien Borghetti, Professeur de droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Un constructeur automobile engage-t-il sa responsabilité à l’égard des victimes de dommages causés par le déclenchement intempestif d’un airbag ?

C’est le régime de responsabilité du fait des produits défectueux prévu aux articles 1245 et suivants du code civil qui a vocation à s’appliquer dans un tel cas. Il permet d’engager la responsabilité du producteur en cas de dommage corporel ou matériel causé par un défaut de sécurité du produit qu’il a mis en circulation.

Si un airbag se déclenche de manière intempestive dans des conditions normales d’utilisation du véhicule, il ne fait guère de doute que ce dysfonctionnement traduit l’existence d’un défaut de sécurité du véhicule. Le producteur de celui-ci (c’est-à-dire le constructeur ayant apposé sa marque sur le véhicule) doit alors en principe répondre du dommage causé par ce dysfonctionnement, c’est-à-dire concrètement indemniser la ou les victimes de leurs blessures et des conséquences de celles-ci, ainsi que de l’atteinte éventuelle à leurs biens autres que le véhicule. En revanche, le dommage causé au véhicule lui-même n’est pas indemnisable sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Le fait que le défaut affecte une partie composante du véhicule fournie par un tiers et que le constructeur ait pu légitimement ignorer son existence ne constitue pas une excuse pour ce dernier. Un obstacle à l’indemnisation des victimes tient en revanche à ce que la responsabilité du producteur ne peut être recherchée que dans les dix ans qui suivent la mise en circulation du produit défectueux. Cela signifie que seules sont aujourd’hui recevables (si elles n’ont pas déjà été intentées) les actions en responsabilité concernant des véhicules mis en circulation à partir de 2015. Pour les véhicules mis en circulation antérieurement, la responsabilité du fait des produits défectueux n’est pas applicable. Il est cependant envisageable d’invoquer d’autres régimes de responsabilité : la responsabilité pour faute de l’article 1240 du code civil pour les victimes n’ayant pas acquis le véhicule, mais à condition qu’elles prouvent une faute « distincte » du défaut, comme par exemple le fait pour le constructeur d’avoir mis ou maintenu en circulation un véhicule dont il connaissait la dangerosité anormale ; ou la garantie des vices cachés prévue aux articles 1641 et suivants du code civil pour les victimes ayant acquis le véhicule défectueux (même si la jurisprudence laisse planer un doute quant à la possibilité d’appliquer ce régime dans une telle hypothèse).

En cas de dysfonctionnement d’un airbag ayant causé un dommage au véhicule lui-même, le constructeur est responsable sur le fondement de la garantie des vices cachés, à condition que la première vente du véhicule soit intervenue moins de 20 ans auparavant.

Les constructeurs engagent-ils leur responsabilité à l’égard des propriétaires de véhicules privés de la possibilité de les utiliser ?

À condition d’admettre que le risque d’un déclenchement intempestif des airbags constitue un vice caché, ce qui paraît raisonnable, les propriétaires concernés peuvent demander réparation du préjudice que leur cause cette immobilisation sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Le problème peut être alors d’évaluer ce préjudice, sachant qu’une forme de réparation en nature (par exemple par la mise à disposition d’un véhicule de courtoisie) est envisageable.

Le propriétaire d’un véhicule qui utiliserait son véhicule faisant l’objet d’une mesure de « stop-drive » édictée par le gouvernement commet-il une faute et peut-il se voir privé d’indemnisation s’il est victime d’un accident causé par un dysfonctionnement de l’airbag ?

Le fait de conduire en connaissance de cause une voiture au mépris d’une interdiction valablement prononcée par le pouvoir réglementaire constitue en principe une faute, à moins que le conducteur ne puisse se prévaloir d’un état de nécessité. Si la victime a commis une telle faute et que celle-ci a contribué à la survenance de son dommage, le droit prévoit que son droit à réparation s’en trouve diminué. L’existence et la gravité de la faute éventuelle de la victime ne peuvent toutefois être déterminées dans l’abstrait et doivent être appréciées au cas par cas, en tenant compte notamment de la possibilité qu’avait la victime d’adopter un autre comportement, et donc de ne pas se servir du véhicule. À supposer la faute établie, c’est au juge de déterminer dans quelle mesure celle-ci vient réduire le droit à réparation de la victime. Il le fera en principe en fonction de la gravité de la faute, étant entendu que, même si la loi permet en théorie que la réparation de la victime puisse se trouver totalement exclue, il est très peu probable qu’un juge français aille jusqu’à cette extrémité. Enfin, il faut préciser que la faute éventuelle du propriétaire qui aurait utilisé ou laissé utiliser le véhicule au mépris de la mesure de « stop-drive » ne viendrait pas réduire le droit à réparation d’autres personnes blessées du fait d’un dysfonctionnement des airbags.